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Quatuor des possibles

Publié le 19.05.2023

À travers Efeu (lierre en allemand) de Thomas Hauert, visible à la salle ADC Pavillon de la danse du 23 au 26 mai, tout n’est que soutien mutuel entre les interprètes. Leurs corps se tendent vers des directions contrastées comme habités par plusieurs qualités de mouvement. De la tension au relâchement.

La pièce aborde notamment un rapport ouvert et renouvelé à la nature qui devrait nous relier les un.es aux autres et à l’ensemble du vivant. Les motifs chorégraphiques improvisés déploient en arborescence une grammaire organique, abstraite, musicale et d’une grande fluidité. Cet autre volet d’un triptyque a posteriori suit How to Proceed et If Only, pièces présentées à l’ADC par le passé. Leur point de rencontre est cette aspiration à favoriser des états d’équilibre et de déséquilibre traduisant la société telle qu’elle va. Pour imaginer un mouvement aussi relié que parfois individué.

Dans Efeu, c’est le rapport à la nature qui se dessine avec les corps. La colonne vertébrale sonore du spectacle est à l’aune de cette merveilleuse alchimie de postures, équilibres fragiles et réorganisation systémique constante. Elle s’ouvre sur de la variété transalpine, Senza fine d’Ornella Vanoni et Lucio Dalla. Pour une danse légère, et joueuse, jazz, enfantine et pop fredonnant en italien les paroles d’une valse d’amour. C’est aussi sur un duo accompagné par le groove de Marvin Gaye et son Mercy Mercy Me (Ecology) que se clôt l’opus sur un ton vitaliste et enjoué. Echange avec le chorégraphe et danseur Thomas Hauert.



Sur le titre de ce quatuor, Efeu.

Thomas Hauert: Il a surgi peu avant la première à la terrasse d’un café cernée par du lierre et située près de chez moi. Il s’agit d’une plante grimpante nécessitant un soutien pour se développer et croître. Comme nous tous et la danse travaillée pour cette pièce qui se soulève contre la gravité, à l’image du lierre.

Aux quatre interprètes sur un casting de six disponibles correspondent les quatre lettres d’Efeu signifiant lierre en allemand. J’ai ensuite découvert que ce végétal symbolisait fidélité et immortalité, joie et amitié dans la Grèce antique. C’est aussi une plante médicinale favorisant le bien-être. Dans sa croissance, ce végétal se révèle fidèle aux danses que l’on réalise à deux. Ou à plusieurs. Dans cette solidarité se manifestant entre interprètes, les interactions sont subtiles et se cristallisent sur les sensations.



Qu’est-ce qui relient vos pièces How to Proceed, If Only et Efeu?

Bien qu’elles n’aient pas été conçues d’emblée comme une trilogie, ces trois pièces ont un substrat commun, nos préoccupations face à l’état du monde et aux crises qui nous pèsent autant qu’elles nous attendent. How to Proceed participait d’une dramaturgie chaotique et d’une présence extravertie des interprètes. Entre colère et humour, on naviguait dans une danse tour à tour abstraite et théâtrale. Et au cœur d’une transformation de la scène par une scénographie transformée par les interprètes. Sur la musique étrange et désolée de John Cage, If Only était marquée par des déplacements minimalistes.

Après plusieurs expériences artistiques et d’être en ce monde, l’envie s’est affirmée d’imaginer une création agréable et prompte à nous faire du bien ainsi qu’au public, Efeu. Le dessein est alors de se montrer constructif jusqu’au ressenti et au plaisir. Et mettre en valeur la vie dans toute sa diversité, de l’Humain à la Nature.





À propos de la scénographie…

Pour réaliser cette grande surface grise en réalité aux quatre coins recourbés, les scénographes ont assisté à des répétitions de la pièce en studio où la Compagnie ZOO était en résidence. Il y eut d’abord le projet d’une toile découpée flottant au-dessus du plateau. La forme en était possiblement par trop imposante. L’un des scénographes a alors vu un tapis grisé de danse au sol, dont il a eu l’idée de soulever les angles. Il en devient blanc sous les éclairages de la boîte noire qu’est le plateau.

Cela nous a immédiatement séduits, dans sa simplicité et légèreté son abstraction et sa capacité à susciter nombre d’associations, dont celle de la page blanche. Concrètement pour la danse, il permet de contraster les évolutions des interprètes tout en renforçant l’organicité et la subtilité de la danse.

Votre danse travaille sur l’équilibre et le déséquilibre...

Oui, c’est une constante de mon approche chorégraphique. En contact et par le toucher, deux corps en connexion forment une image physique au cœur des sensations, ce dont les neuroscientifiques travaillant sur l’origine de nos émotions sont parfaitement conscients.

On a ainsi immédiatement une image de l’Autre simplement par une petite surface touchée ainsi qu’une pression variable exercée entre les deux interprètes. Un exemple? Même si un danseur se retrouve en équilibre fragile sur une jambe, il peut se révéler comme un être ayant toujours les deux pieds à terre lors d’un contact en soutien et pression mutuels avec une autre danseuse.






La danse change à chaque représentation notamment dans l’ordre des séquences dansées et de leurs interprètes.

Absolument. Mais si la danse est improvisée et qu’elle permet d’ouvrir continument les possibles, de nombreux paramètres restent stables d’une représentation à l’autre. Dont le timing de chaque séquence et la musique. Nous sommes agiles, flexibles, ductiles. C’est un défi toujours renouvelé d’inventer à chaque soir une danse avec une autre interprète. On se rend compte que toute dynamique se révèle singulière et différente entre les corps. De fait, ne pas tomber dans une routine est ce que peut possiblement percevoir le public dans l’attention et la qualité de présence.

Mais encore?

Cette approche ouverte et dynamique rejoint en partie un phénomène transitoire nommé néguentropie. Elle se définit comme un facteur d’organisation des systèmes physiques, sociaux et humains. Visant à une coordination ingénieuse entre les êtres, la néguentropie s'oppose à la tendance naturelle à la désorganisation ou entropie. Cela fait un peu New Age. Mais en réalité, il s’agit d’une force de cohésion très physique. Chaque mouvement de notre corps se joue ainsi avec la gravité impliquant un mélange entre tensions et relâchements.

La première danse se délie sur le rythme chaloupé de Senza Fine... On y entend en italien ses paroles, «Sans fin/Tu es un moment sans fin/Tu n'as pas d'hier et tu n'as pas de lendemain.»

Senza fine et la chanson de Marvin Gaye, Mercy Mercy Me (Ecology), à la fin servent de prologue et d’épilogue à la pièce qui ne suit pas un récit linéaire. Ce sont deux danses à part. Ceci par leurs éléments ludiques et encore plus libres que dans les autres parties toutes improvisées d’Efeu.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Efeu
Du 23 au 26 mai au Pavillon de l'ADC

Thomas Hauert, concept et direction
Fabian Barba, Thomas Hauert, Liz Kinoshita, Sarah Ludi, Federica Porello, Samantha Van Wissen, recherche et création
Interprété par quatre danseurs de la compagnie

Informations, réservations:
https://pavillon-adc.ch/spectacle/zoo-thomas-hauert-2023/

*Enregistrée en 1971 sur l’album What’s Going On, Mercy Mercy Me (Ecology) est une des premières chansons mettant en avant les effets négatifs de l’humanité sur l’environnement. Marvin Gaye a joué un rôle dans l’éveil des consciences à la cause environnementale.

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