Piliers de bars et étoiles de mer

Le Bar sous la Mer refait surface au Théâtre du Loup, du 15 novembre au 4 décembre. Ce spectacle créé il y a plus de 10 ans compte parmi les plus belles réussites de la Cie du Théâtre du Loup, selon le metteur en scène Eric Jeanmonod. Et selon l'auteur Stefano Benni, parmi les toutes meilleures adaptations sur scène du texte.

Dans le Bar sous la Mer, il y a des piliers de bar qui racontent des histoires. L'occasion d'une comédie de moeurs qui brasse large avec foison de situations loufoques et de personnages hauts en couleur. Suite de tableaux sans liens directs les uns avec les autres, il oblige les comédiens à changer de costumes et de rôles en moins de temps qu'il n'en faut à une méduse pour attraper un petit poisson. Pour autant, selon Eric Jeanmonod, l'affaire serait loin d'être cruelle. Mais encore?

Comment aviez-vous découvert ce texte?

Il y a une quinzaine d’années, le comédien Roberto Molo m’avait offert ce petit livre à l’occasion d’une première. Il m’a dit: « Ca pourrait te plaire ». C’est un recueil de nouvelles de Stefano Benni qui date de 1987. Et, effectivement, en le lisant, je me suis dit qu’il y avait matière à spectacle.

Un promeneur voit passer un petit vieux qui se dirige vers la mer. L’autre croit d’abord qu’il veut se noyer, il l’interpelle. Mais le petit vieux continue et... descend dans la mer. Notre personnage décide de suivre, et effectivement il « descend » sous la mer, où – comme le titre l’indique – il y a un bar. Les habitués souhaitent la bienvenue au nouvel arrivé, se présentent. Et comme le veut la coutume du lieu, ils vont chacun raconter une histoire.

Les histoires s’enchaînent. Mais selon les versions des 1001 Nuits, il y a une conteuse unique, Shéhérazade. Là c’est un auditeur unique qui fait face à différents narrateurs.

Nous sommes chaque fois dans la satire, mais plus que cela, chacune se singularise par une grande empathie avec l’humain dans toute sa variété et dans le foisonnement des comportements. L’auteur est même aimable avec les personnes les plus désagréables. Il y a une caricature de policier obtus qui abuse de son autorité, mais l’auteur fait en sorte qu’on ait pitié de lui. A l’issue d’une des histoires, un personnage s’exclame: « personne ne mérite l’Enfer ». Ce que je trouve magnifique. Et c’est sans doute Benni qui parle à ce moment-là.

Les histoires nous font passer du Paris des années 30 à la Californie des années 70-80, puis dans un quartier napolitain populaire dit «La Main Leste»: on s’y fait même voler le chewing-gum qu’on a dans la bouche… Donc des sociétés qui n’ont rien de commun. C’est davantage une peinture de mœurs.

Très peu. Il y a une scène autour d’une piscine qui était devenue trop gentille, il a fallut trouver des solutions pour y amener un supplément de folie. Aussi des petites touches ici ou là. Mais cela ne représente pas plus de 0,5% de l’original. Je n’ai pas de problème avec ça.

Sinon, j’ai rajouté le mot « pandémie » ! (Rires)

Mmh… La question ne s’est pas posée. Nous n’avions pas le temps pour mettre en place une création. Et ce sont les nouvelles du recueil que je préfère. Pour la petite histoire, à l’origine, nous en avions créée une supplémentaire – la première fois –, mais le spectacle durait déjà 1h50, cela faisait un peu long. Je l’aimais bien, mais je ne regrette pas d’avoir dû m’en passer.

Nous avons des captures vidéo qui facilitent le travail. J’en transmets donc une copie aux comédiens. Mais tout n’apparaît pas, tout n’est pas écrit, notamment les multiples changements de costumes – parfois une simple perruque. Ce n’est que récemment que les deux musiciens m’ont dit avoir compris qui devait s’occuper de sortir la contrebasse à tel instant du spectacle!

Pas vraiment. Il y a un pastiche de film d’horreur avec une famille qui s’arrête dans un hôtel restaurant au milieu de la nuit. Mais ce n’est vraiment pas le propos du spectacle en général.

Cette enfilade d’histoires – ou de sketches – instaure-t-elle une ambiance, un rythme particulier?

Il y a une fluidité entre ces histoires qui contribue à l’impression d’unité. Mais elles sont en même temps très différentes et ont des durées très variables – entre 20 et 3 minutes. On comprend vite que chaque personnage sera différent dans quelques minutes. Il y a 20 ans, nous aurions eu sans doute recours à des masques, là c’est davantage la valse des perruques. Les comédiens n’ont parfois que peu de temps pour se changer, un accessoiriste, qui apparaît un tout petit peu dans le spectacle, court constamment derrière le décor avec des objets, des perruques, des costumes… Pour les interprètes, changer sept fois de personnages, c’est parfois sportif.

Pour en revenir à votre question, nous travaillons aussi beaucoup l’ambiance avec le son. Mael Godinat, qui joue le barman, joue de plusieurs claviers et envoie des nappes, des boucles de sons, accompagné d’un contrebassiste. L’ambiance est aussi instaurée par le lieu. Le spectateur n'oublie jamais que nous sommes sous la mer. Des poissons, un requin, un scaphandrier passent. Parfois tout le monde s’arrête au bruit du moteur d’un bateau qui passe au-dessus. Ce lieu apparait comme un havre de paix, une parenthèse.

Peut-être, je ne vous dévoile pas la fin!

Chaque cas est différent. Ici, c’est l’administratrice du Loup qui en avait beaucoup entendu parler mais qui ne l’avait pas vu. Et l’idée a fait son chemin. Ceci dit, c’est un des 4 ou 5 meilleurs spectacles auxquels j’ai participé avec la Cie du Théâtre du Loup. Il réunit l’imaginaire, l’humanisme et l’humour. C’est tout ce que j’aime, et avec l’univers de Benni, on est en plein dedans.

Mais je précise tout de même que mon prochain spectacle sera une création!

Le décor est très particulier. Il n’y a pas de vidéos, on revient à un théâtre manuel, artisanal. Il y a aussi le plaisir du foisonnement. Il y a énormément de matière qu’il faut rythmer, organiser, élaguer. Et je suis là dans mon élément: je fais un théâtre de narration.

Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/le-bar-sous-la-mer-2022/