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Lenz, une plongée dans la folie

Publié le 21.04.2017

 

Lenz fait partie des récits que l’on n’oublie pas. Écrit par le jeune Büchner en 1836, il a posé sa griffe dans l’histoire de la littérature. Pas loin de deux siècles plus tard, le Collectif Dantor’s Conspiracy remet cette nouvelle à la densité incroyable sur le devant de la scène, en explorant un espace où sensorialité et philosophie vont de pair. Lenz est en représentation au Théâtre Saint-Gervais du 25 avril au 13 mai, avec un programme simultané de jeu, de musique et de danse. Matteo Zimmermann, concepteur et comédien, et John Menoud, musicien, ont accepté de rencontrer leprogramme.ch pour parler de leur projet novateur. Prêts pour un voyage dans les méandres de la folie?

 

 

Comment le Collectif Dantor’s Conspiracy a-t-il vu le jour?

Matteo Zimmermann: Je suis comédien de profession. En 2008, j’ai voulu reprendre les choses à zéro par rapport à mon travail. J’avais un grand intérêt pour des textes qui ne sont pas forcément des textes théâtraux. J’ai contacté John Menoud, musicien et un ami de longue date, dans l’idée de travailler des textes sous forme de lectures, et d’y mêler du son. Nous avons ensuite fait des lectures dans des lieux informels – caves, bars, bibliothèques – ce qui nous a permis d’explorer différentes possibilités d’interaction entre le texte et le son. C’était le point de départ du collectif!

Petit à petit, des gens nous ont rejoints, d’autres sont partis. Notre premier spectacle, Berlin Alexanderplatz, comptait trois musiciens et trois comédiens sur scène. Le chemin parcouru depuis le temps où nous faisions des lectures nous a permis de mettre en place une méthode de travail collective autour de textes. Cette méthode est basée sur la lecture d’un texte, sur des improvisations sensorielles en lien avec le texte, et sur la musique.

John Menoud: Notre collectif est au fond une sorte d’OVNI. Nous ne faisons pas exactement du théâtre, nous créons un spectacle à la croisée de plusieurs disciplines.

 

Pourquoi avoir choisi Lenz, un texte qui à l’origine est une nouvelle?

MZ: Le fait de partir d’un récit nous oblige à réfléchir sur notre pratique. Le théâtre vient du récit, le récit précède le théâtre. L’origine du théâtre, c’est le fait de raconter – cette chose mystérieuse qui fait qu’autour d’un feu, les hommes se sont un jour mis à raconter leur journée, à raconter leur vie. La nouvelle, que ce soit Berlin Alexanderplatz ou Lenz, nous confronte à cette frontière entre le récit et le théâtre, au moment à partir duquel le récit devient théâtre. C’est l’une des réflexions de notre travail: ne pas être tout de suite dans l’incarnation, mais se placer de façon subtile entre le récit et le jeu.

Ce projet de Lenz est un peu particulier pour nous, car il s’agit du premier texte que nous avons utilisé pour nos lectures en 2008. Je lisais le texte, John faisait de la musique en continu, et il y avait un danseur. Nous avons gardé ces trois piliers pour le spectacle d’aujourd’hui: une approche sensorielle du texte par la danse, une approche sonore par la musique, et une approche textuelle. C’est la dialectique et la confrontation de ces trois niveaux qui nous intéresse.

JM: Le principe d’improvisation est très important. Utiliser une sorte de premier jet, très spontané, où l’on s’est juste imprégnés du texte et où on se lance dans l’inconnu, nous permet de construire tout un imaginaire ensemble. L’atmosphère jaillit presque malgré nous.

 

Lenz est une sorte d’anti-héros, malade et tourmenté. Comment mettre en scène un personnage si fébrile et déroutant?

MZ: Il faut préciser tout d’abord que le travail de Büchner est la transposition d’un épisode de vie d’une personne réelle, celle d’un écrivain nommé Jakob Lenz, qui était un ami de Goethe. Pour cela, Büchner a fait un travail de documentation assez précis. Dans cette nouvelle, il y a d’un côté la description presque médicale d’un état de folie (celle du personnage principal, Lenz), et de l’autre, le développement d'une multitude de thèmes universels: la lutte contre l’inertie, la question de l’art, la question de Dieu… Ce sont là les questionnements d’un être qui se trouve confronté au vide, et qui essaie désespérément de trouver des chemins, des réponses. Nous essayons évidemment d’intégrer des questionnements, d’en faire des enjeux, plutôt que de simplement jouer la folie. Ce personnage est plus pour nous une forme de récipient, qui nous permet de voir, comme une expérience, «qu’est-ce que ça nous fait».

 

 

Quel genre de musique le public aura-t-il l’occasion d’entendre sur scène?

JM: J’ai une palette de timbres assez riche. J’utilise principalement des percussions, et un peu d’électronique pour faire des fréquences qui apparaissent à certains moments et se confondent avec les résonnements des percussions. La partie électronique reste très subtile.

Alidou Yanogo, le danseur, et moi, fonctionnons ainsi: nous considérons d’abord le texte, puis nous lançons dans des propositions. Matteo réagit ensuite à celles-ci, et cela crée un rythme, un dialogue. Nous construisons à partir de là une sorte de partition mentale.

 

Pourquoi, à votre avis, Lenz a-t-il autant marqué l’histoire de la littérature?

MZ: Comme tous les textes qui questionnent, Lenz est en soi déjà à la limite de la littérature. La forme est très moderne, avec cette idée du fragment. L’idée de la ruine et de la décrépitude est également très moderne. Le personnage est extrêmement intéressant, très réaliste et documenté pour une part, et dans le même temps acteur de passages complètement irréels. Cette nouvelle, qui arrive à la fin du romantisme, condense beaucoup de questions et beaucoup de genres différents. Je la considère comme un souffle. Elle est très simple, dans le sens où elle nous parle à tous en tant qu’humains.

 

Lenz est une œuvre inachevée… Avez-vous choisi de doter la pièce d’une fin alternative?

MZ: On dit que c’est une nouvelle inachevée, mais quand on la lit, on a l’impression que la forme est passablement achevée. La question se pose effectivement de savoir si elle est finie ou pas. Le même problème existe pour le fameux Woyzeck. Mais en ce qui me concerne, je vois la fin du récit comme une vraie fin. Le fait que Büchner soit mort si jeune et si peu de temps après avoir écrit Lenz, tout en étant poursuivi pour ses idées politiques, me fait considérer que l’œuvre est terminée. Cette fin un peu en suspension nous confronte également à notre propre inertie. Elle laisse un vide, qui fait écho aux questionnements de Lenz. Aucune solution morale n’est présentée, et c’est aussi ce qui rend l’œuvre fascinante.

 

Propos recueillis par Marie Berset

 

Lenz, une création du Collectif Dantor’s Conspiracy à découvrir au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 25 avril au 13 mai 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site www.saintgervais.ch

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