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Le Petit Prince à Genève

Publié le 31.12.2014

 

Dessine-moi un opéra

 

Alors qu’ont lieu les dernières répétitions avant la création mondiale du Petit Prince de Michaël Levinas le 5 novembre 2014 à l’Opéra de Lausanne, la metteure en scène Lilo Baur nous a accordé un entretien au cours duquel elle nous confie sa fascination pour cette œuvre « tout public » et aborde les défis que représentent la création d’un nouvel opéra.

 

 

 

 

 

Benoît Payn : Après les airs baroques de Dido & Æneas et La Resurrezione, les accents modernes d’Ariane et Barbe-Bleue et les effluves orientalistes de Lakmé, Le Petit Prince représente dans votre parcours la première véritable création lyrique. Comment avez-vous abordé ce nouveau projet ?

 

Lilo Baur : Effectivement, ce nouveau projet a des allures de défi puisqu’il comprend plusieurs contraintes qui n’existent pas lorsque l’on met en scène un opéra du répertoire. Il s’agit tout d’abord d’une histoire que tout le monde connaît, ce qui veut dire que le public aura certaines attentes en venant voir ce spectacle. Au moment où nous avons commencé à réfléchir avec le scénographe à l’univers du Petit Prince, la musique était encore en cours de composition. Il faut savoir qu’à l’opéra, les décors doivent être discutés passablement en avance. Pour cette création, nous avons décidé avant tout de rester fidèle aux images du Petit Prince. Cela veut donc dire qu’il a fallu concevoir cet imaginaire sans vraiment se baser sur une partition. Voilà quelque chose de complètement nouveau. Dès que l’on a une proposition pour une mise en scène d’un opéra, normalement on écoute un enregistrement, on repère les durées et on s’imagine ce qui peut se passer sur scène. J’ai bien évidemment entendu au cours de la gestation de la musique des bribes de la partition, des maquettes musicales. Certaines parties nous parviennent encore en ce moment, alors que nous sommes en pleine répétition. Le tout s’est vraiment mis ensemble avec les chanteurs et ce n’est que lors des répétitions scènes-orchestre que j’entendrai pour la première fois l’œuvre dans son intégralité. (Ndlr : Cet entretien a été réalisé la veille de la générale piano, avant que le travail avec l’orchestre n'ait débuté). Voilà donc les conditions propres à une création lyrique. On est sans cesse en train de chercher, de modifier des éléments pour s’adapter à cette œuvre qui évolue en même temps que l’on met au point la façon dont elle va être présentée sur scène. J’ai déjà participé à des créations au théâtre mais à l’opéra, c’est une première pour moi. C’est à la fois très difficile et extrêmement fascinant !

 

B.P. : Et quelles sont donc vos premières impressions sur ce nouvel opus de Levinas ?

 

L.B. : Michaël Levinas est un compositeur que j’ai découvert à travers ce projet. Je trouve qu’il existe dans sa musique une grande profondeur. Il est parvenu à donner une dimension très profonde à cette histoire du Petit Prince, et la tâche n’est pas simple puisqu’il a fallu faire tenir tout ce que le livre comprend en juste quatre-vingt minutes de musique ! Quand on dit qu’il s’agit d’un opéra contemporain, les préjugés ne tardent pas à fuser. Mais en fréquentant cette musique tous les jours depuis un certain temps, j’ai peu à peu été frappée par les nombreuses facettes qu’elle peut déployer à l’oreille curieuse et ouverte. Quelquefois je ressens des accents baroques, d’autres fois une dimension mystique, telle que l’on pourrait parfois retrouver chez Verdi. Après, tout le monde se fera son propre avis. Mais j’ai été confrontée à quelque chose de nouveau, quelque chose que je n’avais encore jamais entendu et cela m’a tout simplement fascinée. Je pense que les enfants seront très ouverts à cette musique, c’est souvent les adultes qui ont des préjugés en matière d’opéra ! (rires)

 

B.P. : Michaël Levinas a d’ailleurs déclaré avoir écrit « pour les enfants et les adultes de toutes les cultures ».

 

L.B. : Oui. L’opéra est en français mais c’est vrai, on ressent ce postulat au niveau de la musique. On perçoit de temps à autre des petites comptines. Évidemment les enfants au Japon ne chantent pas les mêmes comptines qu’en Europe mais elles sont aussi souvent basées sur un matériel minimal, comme des mélodies basées sur seulement trois notes. Je pense que ces comptines sont propres à toutes les cultures et qu'elles interpelleront autant les petits Européens que les enfants d'ailleurs.

 

 

B.P. : Est-ce que vous avez également recherché à mettre au point un spectacle possédant différents degrés d’interprétation, tout comme c’est d’ailleurs le cas de l’œuvre de Saint Exupéry ?

 

L.B. : Je pense toujours que les enfants font preuve de beaucoup d’honnêteté lorsqu’ils voient un spectacle et quand ils s’ennuient, on s’en rend vite compte ! Ils dégagent une grande vérité lorsqu’ils sont spectateurs. C’est peut-être un peu difficile avec Internet et les technologies actuelles, les enfants n’ont certainement plus la même attention qu’il y a vingt ou trente ans. Se plonger dans un livre ou observer pendant un certain temps une image, cela est bien différent de ce à quoi est confronté un enfant d’aujourd’hui. Ils sont maintenant habitués à des changements, des enchaînements bien plus rapides. Je pense que c’est la musique qui va les emporter, eux et également les adultes. Au niveau du texte, il est intéressant de voir que Michaël Levinas a souvent privilégié les répétitions, comme le fameux « Dessine-moi un mouton ». Et ces répétitions peuvent faire rire les enfants tout comme elles peuvent être interprétées plus en profondeur par les adultes, comme une forme d’harcèlement par exemple. Saint-Exupéry tenait à transmettre cette histoire d’amour qui est avant tout parlante pour les adultes. Quant aux enfants, je pense que c’est à travers le jeu et la musique que ce message sera véhiculé.

 

B.P. : Parmi tous les personnages que comportent la fable du Petit Prince, quel est celui qui vous tient le plus à coeur et pourquoi ?

 

L.B. : Ce doit être le Renard. Lorsque lui et le Petit Prince sont en train de parler depuis seulement deux minutes, il lui dit : « Si tu veux m’apprivoiser, il faut aller plus loin ». Lorsque des enfants rencontrent quelque part en vacances d’autres enfants, ils ont tout de suite une approche que l’on a plus du tout une fois devenu adulte, c’est-à-dire cette forme particulière de curiosité qui quelles que soient leurs ou leurs origines, les font s’approcher les uns des autres. Le Petit Prince a cette curiosité par rapport à tout tandis qu’avec le Renard il y a une sorte de jeu qui se met en place entre eux. Il fait découvrir au Petit Prince qu’il aime la Rose, c’est lui qui crée ces liens avec la fleur et il en est donc responsable. Musicalement aussi, ce personnage est entouré par tant de tendresse. C’est également lui qui dira « le plus important est invisible », tout comme la plupart des messages de Saint-Exupéry.

 

Entretien réalisé par Benoît Payn pour le journal du Grand Théâtre Act-O 21.

 

Le Petit Prince, du 6 au 10 janvier 2015, au Bâtiment des Forces motrices à Genève. Renseignements au +41 22 322 50 50 ou sur www.geneveopera.ch

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