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La cohérence de nos incohérences vue par Phil Hayes

Publié le 14.11.2018

 

L’heure est grave. Chacun peut s’enflammer contre les méfaits de la mondialisation puis remplir son cabas de produits de cette mondialisation. Chacune peut être fan d’un groupe de rock anticapitaliste vegan et aller se refaire une santé dans une chaîne de restaurants de hamburgers à l’issue du concert. Phil Hayes focalise sur ces paradoxes ordinaires et ces incohérences quotidiennes dans These Are My Principles… If You Don’t Like Them I Have Others. Le spectacle l’amène à pousser très loin la cohérence de ces incohérences, au fil de joutes verbales, séparées – il faut bien se reposer un peu – de quelques intermèdes musicaux.

Le titre emprunte à Groucho Marx, mais le metteur en scène se défend de n’être là que pour rigoler. Le dispositif simple et efficace – Phil Hayes demeure seul sur scène avec sa partenaire Nada Gambier –, créé il y a deux ans, est déjà passé par Paris et par Avignon. Il sera présenté à Genève au Théâtre Saint-Gervais du 22 au 25 novembre 2018, avec mention «en anglais basique».

 

Vous abordez avec ce spectacle, le décalage entre nos opinions – nos principes – et nos actes.

Quand j’étais jeune, les choses étaient beaucoup plus tranchées. Si vous aimiez ceci, alors vous n’aimiez pas cela. Les choix étaient stricts et contribuaient à votre identité, déterminaient vos amis, vos goûts, vos positions politiques. Je crois que c’est beaucoup moins le cas.

 

Les jeunes sont peut-être plus matures.

Je ne focalise pas sur les jeunes. Et je crois surtout que le monde a changé. Je continue à rester fidèle à certains principes. Certains ont conservé cette forme de loyauté envers un certain nombre de choses auxquels ils croient. D’autres sont simplement heureux de pouvoir consommer ce qui se présente à eux. Il faut aussi dire que nous avons tout simplement beaucoup de choix – tout le monde n’a pas cette chance.

 

Le dispositif du spectacle joue sur cette foule d’opportunités et de choix qui s’offrent constamment à nous?

Aussi sur le fait qu’il est facile d’être contre – tant sur des choix politiques que sur des possibilités de consommations. Mais qu’il est vraiment plus difficile de dire ce en quoi nous sommes «pour».

 

Pouvez-vous donner un exemple?

Il y a longtemps, j’avais présenté un spectacle à L’Usine, à Genève. Après le show, j’avais proposé au staff d’aller boire une bière, au café qui était à côté. Ils ne m’ont pas répondu «Ce bar n’est pas bien», mais «Nous n’allons pas là-bas». C’était très clair, très tranché – pour des raisons que j’ignore. J’ai des amis à Genève, et ce que je perçois à travers eux c’est qu’il y a dans cette ville des gens qui ont plutôt de l’argent, d’autres qui en ont moins et que ces deux mondes se mélangent assez peu. Cela a peut-être changé, et j’entends bien que c’est assez naïf de présenter les choses ainsi. Mais disons que les comportements sont moins tranchés à Zurich – ou peut-être que les Zurichois ont cessé de lutter.

 

 

L’humour tient une place importante dans le spectacle. Parce que vous préférez en rire?

En tant qu’Anglais, j’ai tendance à laisser l’humour se glisser partout. Mais ce n’est pas parce que vous pouvez parfois rire de quelque chose, que vous ne vous impliquez pas. L’humour adoucit un peu le propos: je n’ai pas du tout envie que le spectacle soit perçu comme une conférence, comme une démonstration.

 

Le décor est d’ailleurs assez ludique. Où sommes-nous?

Dans un endroit assez confortable, séduisant. Il y a des platines, on passe de la musique. Des styles assez variés, ce qui peut souligner la question du choix. En même temps, il y a un panneau «No Request» qui remet cela en cause. Lorsque nous avons conçu le spectacle, nous voulions que le décor contribue à clarifier que nous n’allions pas donner des réponses aux questions que posait le spectacle.

 

 

En parallèle à vos projets de théâtre, vous menez une carrière de musicien. Quel est le rôle de la musique dans ce spectacle?

Elle permet aux spectateurs de réfléchir et de se recharger les batteries. Car le public travaille dur! Nous nous adressons l’un à l’autre beaucoup de questions sur scène. Chacun y répond aussi dans sa tête.

 

En deux ans, le spectacle a évolué. Des thèmes ont-ils gagné en importance, de nouvelles questions sont-elles venues sur le devant de la scène? Immigration, LGBT, écornage du bétail?

La structure, la dramaturgie est posée. Mais dans ce cadre, nous pouvons introduire de nouveaux thèmes, et improviser, afin de conserver de la fraîcheur. Nada et moi essayons toujours de nous surprendre. Je n’ai pas envie de donner trop de détails, car le dispositif est assez simple.

 

Comment élaborez-vous un spectacle de ce type?

Je travaille en collaboration avec mes partenaires – en l’occurrence Christophe Jaquet et Nada Gambier. Quand on commence, je ne sais pas où cela va nous mener. C’est un peu comme cuisiner. Vous savez ce qui vous plaît, vous savez quels sont les ingrédients dont vous disposez et vous commencer à travailler avec ça. Mais vous ne savez pas ce que ça va donner avant d’avoir fini. Là nous avions des questions que nous voulions poser. Parfois nous avons travaillé à trois, parfois à deux. Nous avons dû faire des choix assez radicaux pour conserver la simplicité du show.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

These Are My Principles… If You Don’t Like Them I Have Others de Phil Hayes est à voir au Théâtre Saint-Gervais à Genève du 22 au 25 novembre 2018.

Renseignements et réservations au +41.22.908.20.00 ou sur le site du théâtre www.saintgervais.ch

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