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L’écriture et la vie

Publié le 06.09.2020

 

Am Stram Gram est un Théâtre de créations. Comme lieu intergénérationnel, il en dénombre seize pour sa nouvelle saison. C’est à une féconde conversation avec les écritures scéniques, le rêve, le réel et l’Histoire vivante que s’est attaché l’équipage de programmation comptant enfants et ados notamment. Mots et musiques dialogueront avec une expédition autour du théâtre du Grand-Guignol.

Outre la présence du poète rap Abd Al Malik (Pour Régis), un bijou pour les tout-petits mettra à flots les mots tournés vers des cieux étoilés sur les lignes mélodiques d’Eric Linder/Polar (Comme tu regardes le ciel étoilé). A l’affiche aussi, d’audacieuses et sensibles refigurations de classiques (Ne pas finir comme Roméo et Juliette, Pinocchio, Little Nemo ou la vocation de l’aube). Sans oublier la pertinente évocation dansée d’un fantassin oublié (Chotto Xenos), une habile manière de décoiffer les clichés et stéréotypes enfermant filles et garçons (Elle pas princesse, lui pas héros) et un conte tendu entre forêt et destination Nuit et Brouillard (La plus précieuse des marchandises). L’écrivain, auteur d’une soixantaine de textes et homme de théâtre Fabrice Melquiot nous éclaire sur son dernier voyage saisonnier.

 

Comment a été imaginée la saison?

Fabrice Melquiot: Au sein du collectif de programmation formé de cinq membres de l’équipe permanente du Théâtre et d’un nombre équivalent de compagnonnes et compagnons âgés de 12 à 15 ans, nous nous sommes rassemblés autour de ce qui fait l’identité première d’Am Stram Gram, son cœur, son ADN: un Théâtre d’Art dédié à l’enfance. Cette formule signée Dominique Catton a déterminé mon désir de diriger ce lieu à sa suite.
Ainsi des propositions artistiques à la fois audacieuses et populaires. Populaires, elles le sont tant l’enfance en constitue le socle. Nos réunions se sont achevées virtuellement par Zoom interposé durant le confinement. Mot aimé mêlant disponibilité, ouverture et écoute, la conversation est un exercice délicat.

 

 

Et sa traduction dans le réel?

L’échange ouvre sur le vivre ensemble d’une création en commun (La Place, d’octobre à mai). Elle évoque la place publique pour échanger autour de là où nous en sommes. Parfois à bâtons rompus. Sans craindre le coq-à-l’âne, les écarts impromptus, les digressions flâneuses que pratiquait librement le facétieux écrivain genevois Charles-Albert Cingria.
Intuitivement, à partir d’une page, photo ou article, dessiner un delta de paroles à l’image du repas de famille. C’est aussi une expérience de l’émerveillement, le bonheur d’être surpris, des bonds des bonds et rebonds.

 

Converser autour de l’actualité quotidienne est aussi le pari réussi des Électronucléistes qui firent les belles heures du Festival Off 2019 en Avignon.

Les performances d’écriture sur le vif des Électronucléistes font aussi la part belle à la musique, celle d’Eric Linder/Polar, à l’improvisation et aux gens. C’est le prolongement du petit vertige issu d’espaces de rencontres, où épisodiquement, on ne sait précisément ce qui va se faire. C’est une possibilité de dialoguer avec le présent immédiat. Ainsi Presse Express prend la presse du jour pour y déployer une parole singulière à partir des nouvelles journalistiques.

 

Dans une époque incertaine doutant de tout, plus que jamais vous donnez leur chance aux chansons en émotions.

La Barbe réunit le chanteur romand atypique Jerrycan et le rappeur Speaker B qui a participé à tous nos Lotos Poétiques. Fruit d’une collaboration de ces pères de famille comptant quatre filles à eux deux, voici une création participant de la grâce des rencontres de couloirs au sein d’un Théâtre. La forme brève prenant le pouls de nos vies dispersées chère à la chanson allie ici douceur et simplicité.

 

Et aussi une autre création pour les tout-petits.

Pour le livre-disque préparé avec le musicien, compositeur et jeune papa Eric Linder, Comme tu regardes le ciel étoilé, je me suis souvenu avoir intégré comme disc-jockey, une radio libre dans les années 80.
C’est peut-être par la chanson que je suis arrivé à la littérature. Ces fascinantes petites formes mènent nos vies, les accompagnent. Elles peuvent s’inscrire de manière coupante, éminemment profonde dans la mémoire.

 

 

Création pour l’ensemble rock Brico Jardin, Le Prince de la Terreur explore un genre méconnu, le théâtre musical.

Les premiers échanges avec Mariama Sylla et Simon Aeschimann de Brico Jardin se sont développés autour de l’horreur. Ce qui emmène prestement au Grand-Guignol, le théâtre burlesque d’épouvante et de rire, d’amour et de mort florissant entre la fin du 19e s. et le milieu du 20e.
Ceci en retrouvant l’aspect visuel de ce genre, qui a été le premier à expérimenter des effets spéciaux au plateau, autour de la biographie voulue non naturaliste d’André de Lorde, surnommé «le Prince de la Terreur», dramaturge cher au théâtre du Grand-Guignol. Rappelons que le père du dramaturge était médecin. Et de Lorde a passé sa vie à imaginer des rôles de médecins et savants fous.

 

L’esprit de cette création se retrouve-t-il ailleurs dans la saison?

C’est un spectacle qui dit l’amour de la scène. Un fil aimant déclaratif que l’on retrouve au gré de la saison. Ainsi en compagnie de Pinocchio ou du labo-spectacle, C’est ça, la Vie de Willy Dupond. Ce fil cherche à dire que ce Théâtre est simultanément à part et au cœur de la Cité.
La forme du théâtre musical, la fantaisie et l’énergie propres à Brico Jardin permettent, elles, de traiter avec pertinence des sujets coupants. Rappelons que le père du dramaturge était médecin. Et de Lorde a passé sa vie à imaginer des rôles de médecins et savants fous, détraqués et malades.

 

C’est ça, la vie de Willy Dupond s’inspire de l’univers de Big Fish signé Tim Burton, le parcours exceptionnel d’un homme qui a fait de sa vie un conte de fées.

A l’origine, il y a l’idée de réinvestir l’ultime scénographie ouvrant sur un toit pentu au plateau pour Les Séparables, réalisée par le bâtisseur et âme d’Am Stram Gram, Dominique Catton, dans une co-mise en scène avec Christiane Suter. Traversée de coups de théâtre, la pièce travaille amplement autour des rêves, et comment nous pouvons les retisser. Que ce soient nos rêves nocturnes ou conscients, nos aspirations, ce que l’on projette de soi.
Retisser nos rêves, pour mieux regarder le réel comme dans La Vie est un songe de Calderón de la Barca. «Quand il n’y a plus le roman de la vie, plus rien n’existe », me confiait Dominique Catton. Or qu’est-ce que Big Fish, si ce n’est la façon dont on peut se raconter sa vie et la raconter aux autres.

 

Vous avez invité le rappeur aux quatre Victoires de la musique, écrivain, cinéaste et metteur en scène, Abd Al Malik.

En compagnie d’Abd Al Malik, on découvre moins les terres enfantines et la vie de l’artiste partagées entre Paris, Brazzaville et Strasbourg (Pour Régis) qu’une invitation à partager des textes (Camus, Césaire, Sénèque…). Ceux-ci lui ont donné le goût de dire, imaginer, inventer sa propre parole.
C’est la rencontre avec un passeur de mots d’une grande humanité et curiosité riche de talents multiples. Accompagné d’une musique transfigurant les genres musicaux, il sera dans un rapport souhaité de grande intimité avec le public.

 

Ce spectacle s’inscrit dans le cadre du format, Ma petite chambre.

Oui, il y a deux autres créations pour la série Ma petite chambre. Ainsi Poppin’C, champion du monde de popping. Il a une relation prodigieuse au corps et au mouvement (Pour Christian). Il reviendra sans doute sur son enfance à Bussigny à travers sa performance chorégraphique. La Nuit au théâtre, elle, ouvrira les portes de la chambre d’enfance de la comédienne formée au chant lyrique et à la dramaturgie, Léonie Keller.

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Théâtre Am Stram Gram
Informations et réservations
amstramgram.ch

Photo Fabrice Melquiot © Jeanne Roualet

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