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Jalousie, pouvoir et amour au Grütli

Publié le 30.01.2016

 


Fin connaisseur de William Shakespeare, Frédéric Polier, le directeur du Théâtre du Grütli à Genève, y met en scène Le Conte d’hiver, une des pièces les plus baroques du génial dramaturge élisabéthain. Jusqu’au 14 février, les treize comédiens de l’Atelier Sphinx s’emparent avec exaltation de cette histoire de jalousie maladive, de pouvoir tyrannique et d’amour qui fait des miracles. Un bel hommage pour marquer le 400ème anniversaire de la disparition de l’auteur. A travers la poésie de Shakespeare, la tragédie devient comédie pour mieux appréhender le réel. Rencontre.

 

L’histoire: Au royaume de Sicile, Hermione et Léontes attendent un enfant. Depuis plusieurs mois Léontes reçoit son ami d’enfance, Polixène, roi de Bohème. A la demande de son mari, Hermione convainc Polixène de rester encore un peu. Léontes, pris d’une jalousie soudaine, soupçonne alors sa femme d’avoir une relation adultère avec son ami et de porter l’enfant né de cette trahison. Accusant la vertu et provoquant l’exil de ceux qui l’aiment, Léontes devra attendre seize longues années avant de pouvoir tourner la page.

 

 

Vous avez joué dans plusieurs pièces de Shakespeare et en avez plusieurs fois mis en scène (Le Songe d’une nuit d’été en 2008, Cymbeline en 2009 et Falstaff en 2010), pourquoi avoir choisi Le Conte d’hiver pour cette date anniversaire?

Plus jeune, elle m’avait laissé un souvenir émotionnel fort, que n’a pas démenti la version de Martine Paschoud à la Comédie en 2004. C’est aussi une pièce moins souvent jouée qu’Othello, Le roi Lear ou Macbeth. Comme Cymbeline, que j’ai mis en scène dans la Tour Vagabonde, un théâtre élisabéthain en bois itinérant. Le conte d’hiver en est la suite, avant La Tempête. Ce sont des romances: les héros se racontent eux-mêmes et se déplacent comme dans un road movie. Dans ces œuvres de maturité, Shakespeare rend ses personnages moins radicaux, plus oniriques, et leur permet la rédemption. En tant qu’artisan du théâtre, Shakespeare s’en amuse d’ailleurs: tout en racontant un aspect, il affirme que l’inverse aurait également pu avoir lieu.

 

Vous parlez de romance, d’autres de tragi-comédie et certains de conte philosophique, comment définiriez-vous exactement cette pièce?

Peut-être que le terme exact serait tragi-comédie philosophique ou métaphysique. Au fond, toutes ses pièces sont philosophiques si on creuse un peu. Il n’écrit rien au hasard et il y a énormément de références historiques. Mais il n’en oublie en aucun cas le rythme et la complicité dans le jeu des acteurs.

 

Comment gère-t-on une pièce de 2h45?

Il est certain qu’un temps conséquent de répétition est nécessaire. L’important n’est pas la durée du spectacle, parce qu’on peut très bien s’ennuyer pendant une pièce d’une heure, mais bien le bouche-à-oreille, l’avis du public. La plupart des pièces du répertoire classique durent plus de deux heures et en particulier celles de Shakespeare. Il y a je ne sais quel diktat selon lequel une pièce devrait durer 1h30. La mode est à couper dans le texte pour en diminuer la longueur. Pourquoi les gens n’auraient-ils pas droit à l’intégralité du texte? A l’opéra, on ne coupe jamais dans le texte! On ne se donne, ou on ne nous donne, plus les moyens de faire de longues pièces avec des grandes distributions comme Le Soulier de satin de Paul Claudel, Le Mahabharata de Brook, Les paravents de Jean Genet ou encore des fresques d’Ariane Mnouchkine. Il faudrait avoir plusieurs mois ou années de répétitions pour préparer certains projets…

 

 

Avez-vous adapté le texte?

Avec Lionel Chiuch, notre dramaturge, nous avions pensé faire notre propre traduction, mais c’est un travail gigantesque, un temps précieux que nous avons préféré utiliser à d’autres fins. Je n’ai pas choisi la traduction de Bernard-Marie Koltès de manière anodine non plus, je savais qu’elle allait m’influencer dans ma manière de mettre en scène la pièce. C’est un auteur que j’ai joué et mis en scène plusieurs fois également et sa traduction, plus familière, offre un réalisme où la langue pourrait manquer de corps. Le Conte d’hiver est d’ailleurs la seule pièce qu’il a traduite.

 

Quels défis avez-vous rencontré lors de la mise en scène?

La question de l’époque a été soulevée dans la scénographie. Je voulais sortir du contexte élisabéthain, des couronnes et des fraises de cou. Le domaine du conte aussi devait être présent. Ainsi que le côté psychologique à la Strindberg de la première partie, d’où ces manteaux de fourrure plutôt intemporels symbolisant l’hiver. Au même titre que Shakespeare, qui prend des libertés dans sa géographie, j’avais envie de jouer avec les codes du théâtre. Par exemple en mettant des tréteaux à l’intérieur d’un palais, ou souligner qu’une part de la tragédie se retrouve dans la comédie et inversement, pour venir s’accélérer dans la dernière partie, plus extravagante.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Le Conte d'hiver, Genève, Théâtre du Grütli jusqu'au 14 février 2016.

Renseignements et réservation au +41.22.888.44.88 ou sur le site du théâtre www.grutli.ch

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