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Double détente

Publié le 15.03.2022

Alors que l’Europe est impactée par un conflit meurtrier, découvrir le programme bifide Double Murder dû au chorégraphe Hofesh Shechter, visible du 17 au 20 mars au Grand Théâtre de Genève, tient du viatique et de l’exorcisme. Clowns (2016) d’abord se déploie dans un univers forain. La pièce s’ouvre sur un trépidant french cancan. Mais le temps est celui des grands cimetières sous la lune. Dans un mouvement infini, on tue, trépasse et revit. 

A cette histoire des violences faites aux corps et à la pulsation rythmique proche de la transe de Clowns, succède The Fix. La musique épouse maintenant des contreforts plus apaisés. Avant, pendant et après les confinements sanitaires, la pièce interroge le groupe et les interactions qu’il permet et met en scène. Rencontre avec un chorégraphe faisant montre d’une énergie tellurique, à la fois désespérée et jubilatoire.


Parlez-nous de Clowns.

Hofesh Shechter: Clowns est à la fois dérangeant et divertissant. Cette pièce chorégraphique créée en 2016 pour le Nederland Dans Theater présente sur un mode théâtralisé et en boucle des meurtres repris en chaîne. Ceci sans d’autres armes que des mains et bras tendus évoquant armes à feu ou poignards. A mon sens, cela peut se révéler à la fois troublant et «amusant , au sens de la pantomime enfantine pas pour de vrai.



Cette oeuvre semble crépusculaire et jubilatoire…

A travers ses exécutions reprises et décalées, Clowns est une pièce qui explore des moments sombres, violents, tragiques voire cyniques de l’humanité. Il est de mon devoir d’artiste de les considérer et les transposer chorégraphiquement sur un plateau. Cela de manière explicite, stylisée et décalée. Les deux pièces réunies sont contradictoires, l’une brutale, l’autre apaisée. Elles se répondent aussi et mettent face à des choix à effectuer pour le présent et le devenir de nos sociétés.

Et en deuxième partie de soirée?

Imaginé en résidence au cœur d’un village en Italie avant et pendant la période pandémique et, pour partie, durant un confinement, The Fix est un opus bien plus apaisé, songeur et tendre. Clowns et The Fix sont sans doute reliés par la reprise de certains motifs gestuels et de mouvements relativement proches. Mais ceux-ci sont refigurés dans une énergie radicalement différente d’une pièce à l’autre. La première s’adresse plutôt à l’esprit, à la réflexion, aux pensées alors que la seconde va directement au cœur de chacun.e dans son intention et sa sollicitation. Il existe une dimension plus profonde, douloureuse et peut-être magnifique qui traverse The Fix.





Sur les conditions de création de The Fix…

Lors de phase initiale de création s’étalant sur un mois, nous étions isolés au cœur d’un village italien avant le Covid. Les sessions de répétition ont révélé une envie de contempler nos propres existences et y réfléchir intensément tout en étant coupé du monde extérieur. Le fait de donner plus de temps au public pour infuser, méditer les images et états de corps est ainsi directement issu de cette vie villageoise recluse.

D’où le fait de penser aussi à mon propre travail chorégraphique. Ceci avec le souci de ménager un large espace temporel au spectateur en ne le sollicitant pas par une chorégraphie en flux tendu de mouvements et une succession véloce d’images, de danses et de tableaux scéniques. Comment puis-je favoriser pour le public un vrai temps pour recevoir, contempler, accueillir une création? L’énergie de cette pièce est partie de cette interrogation.

Et pour la pandémie?

La survenue du Covid n’a rendu ces dimensions contemplatives que plus pertinentes et prégnantes dans la création de The Fix. Soit le confinement, ce temps d’arrêt, de sidération et de réflexion sur le monde que nous avons bâti, notre rôle en son sein. Et dans le sens à donner à tout ce que nous faisons quotidiennement.

Ce temps de retour sur soi et de pensées sur le monde se retrouve dans une scène de The Fix. Ouvrant sur une réelle interaction avec le public, ce moment met en mouvement une volonté d’accueil, de partage et de connexion autour de ce qui est le plus intime et universel, notre humanité commune. C’est aussi une manière de sentir plus résistant, résilient au fil de cet échange fugace d’énergie. Cela en pleine fragilité émotionnelle liée à la pandémie.





Quelle est la démarche créative de The Fix?

C'est la volonté de partager honnêtement et en toute authenticité l’expérience tant humaine qu’émotionnelle vécue au studio au fil des répétitions. Et donc d’en ramener quelque chose au plateau lors des représentations. Il y a une forme d’épure dans cette volonté de dévoiler nos ressentis au détour des épisodes les plus tendres représentés sur scène. The Fix est empli d’une tendresse et de fragilité émotionnelle jamais révélées ainsi dans mon travail chorégraphique passé.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Double Murder
Clowns - The Fix
Du 17 au 20 mars au Bâtiment des Forces Motrices (BFM), Genève

Hofesh Shechter, chorégraphies
Hofesh Shechter Company

Informations, réservations:
https://www.gtg.ch/saison-21-22/double-murder/

Un spectacle de la saison du Grand Théâtre de Genève