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Crises de l’intime contemporain au POCHE /GVE

Publié le 30.12.2016

 

Depuis le mois de novembre, le théâtre POCHE /GVE présente un ensemble de quatre pièces conduites par cinq comédiens, trois metteurs en scène et une seule équipe artistique dans une scénographie unique, le Sloop, une forme de production propre au POCHE /GVE inspirée de certains théâtres germanophones ou d’Europe de l’Est. Dans ce Sloop3 intitulé i-monsters, trois comédies québécoises et un drame suédo-tunisien dépeignent les crises de l’intime contemporain et cette incapacité d’être véritablement en rapport les uns avec les autres. Manon Krüttli, qui signe la mise en scène des deux premières pièces de cette tétralogie, revient sur cette formule passionnante du Sloop, à voir dans son intégralité les 22 et 29 janvier.

 

Poursuivez-vous à travers ces deux pièces votre recherche autour de l’intimité féminine et de l’écriture de soi débutée en 2013 avec votre performance Les carnets de l’intime?

Lorsque le POCHE /GVE m’a proposé ces mises en scène, j’ai tout de suite été attirée par leurs actualités. Si elles ne sont pas directement liées à mes propres recherches, j’y retrouve des thématiques qui m’animent tout comme la question de la plastique des corps dans Les Morb(y)des de Sébastien David. Cette pièce raconte l'histoire de deux sœurs obèses enfermées dans un demi sous-sol. Comment alors représenter ces corps absolument hors norme alors même qu'aucune actrice du collectif n'est ronde? Nous avons choisi de travailler sur une traduction symbolique de ces "corps qui prennent trop de place". Par exemple, une des actrices est habillée d'un costume en maille retenant des ballons figurant son embonpoint, qui laisse cependant entrevoir son corps à elle. On est loin d’un réalisme criard.

 

Comment les pièces ont-elles été réparties entre vous, Michèle Pralong et Yvan Rihs, vos partenaires metteurs en scène dans ce Sloop?

Le POCHE /GVE a proposé cette répartition que nous avons tous acceptée. Par la suite nous avons constitué notre équipe artistique et organisé des auditions pour former le collectif d’acteurs qui endosserait les rôles des quatre pièces.

 

Comment se passe le travail entre trois metteurs en scène qui se partagent une même scénographie?

Un autre défi passionnant du Sloop! Une seule scénographie, mais aussi un seul dispositif lumière, un seul créateur son, une même costumière et une même équipe d’acteurs. Les contraintes engendrées par le Sloop ont été une vraie source d'inspiration et ce champ d’action restreint nous a permis de développer une certaine forme de radicalité. Cette urgence (le temps de répétition de chacune des pièces est limité à 2 semaines), nous a poussé à prendre des risques et à travailler de façon peut-être plus intuitive qu'à la normale. Cette forme de travail est très stimulante et offre une occasion unique d’éprouver le théâtre différemment qu’à l’ordinaire.

La scénographie a été discutée bien en amont, car elle fait le lien entre les pièces, tout en permettant à chacune d’y amener une subtilité. Un immense cadre blanc formé de quatre cases est placé à l’avant-scène, et se transforme au fil des pièces, offrant l’image que quelque chose se crée à chaque instant, se travaille, jusqu’au jour de sa disparition.

 

 

Y a-t-il eu un choix dans l’ordre de présentation des pièces au public?

Celui-ci a été choisi par le théâtre mais il est rapidement apparu qu’Unité modèle de Guillaume Corbeil (première pièce à avoir été créée) était la pierre d’achoppement du polyptyque présenté dans ce Sloop3. Dans Unité modèle deux courtiers en immobilier vantent une unité d’habitation idéale et la vie qui va avec. Cette pièce joue sur la norme totale, totalitaire et totalisante. Les autres pièces viennent comme se cogner contre cette normalité et dérangent l'ordre établi.

 

Quels liens avez-vous imaginés entre les pièces Unité modèle de Guillaume Corbeil et Les Morb(y)des de Sébastien David?

Traiter ces deux pièces comme un diptyque s’est révélé une évidence. J'ai toujours imaginé que ces figures vivaient dans un seul et même univers. Dans Unité Modèle, deux représentants vendent un appartement avec l’assurance que celui-ci est le format idéal pour une vie idéale d’un "blanc occidental hétéro-normé". La pièce Les Morb(y)des propose alors un contrepoint à cet idéal de vie. Comme si les deux sœurs des Morb(y)des vivaient dans les sous-sols de la cité Diorama. Figures monstrueuses, Stéphany et sa sœur représentent ce qu'on ne veut pas voir, elles sont l'envers du décor.

 

Qu’en est-il pour Nino de Rébecca Déraspe et J’appelle mes frères de Jonas Hassen Khemiri, dernière partie de cette tétralogie, qui débutera le 9 janvier?

Nino est une pièce sur la maternité, écrite par l’auteure juste après avoir mis son fils à la crèche suivant une année de "solitude" dans son appartement de Montréal. Il y est question du jugement des autres sur le comportement attendu d’une mère aujourd’hui. L’auteure y interroge la normalité établie par la société, ce modèle familial idéal, qui n’est pas sans contradictions.

La pièce J’appelle mes frères apparait enfin comme une conséquence directe d’une norme beaucoup trop forte et totalement isolante. On y entend le cri des exclus, ces étrangers montrés du doigt, et la culpabilité qu’on leur fait porter au point que l’individu ne sait plus qui il est ni ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Les quatres pièces du Sloop3 sont à voir au POCHE /GVE jusqu'au 29 janvier 2017.

Deux intégrales sont proposées les 22 et 29 janvier.

Renseignements et réservations au 02.310.37.59 et sur le site www.poche---gve.ch

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