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Blanche-Neige franchit le mur de Berlin

Publié le 14.01.2016

 


Une cité HLM, des pommes d’amour pas empoisonnées, un miroir de salle de bain, une jeune fille rebelle et sa belle-mère. La Compagnie La Cordonnerie nous embarque sur les traces de Blanche-Neige. Mais plus tout à fait à la manière des mythes d’antan ni des frères Grimm. Le destin de cette Blanche-Neige-là suit le cours de l’Histoire avec un grand H. Celle de la Guerre froide qui prend fin à Berlin avec la chute du Mur pour évoquer de manière symbolique la réconciliation entre une belle-mère et sa fille. La comédienne Métilde Weyergans incarne les deux femmes sur le plateau pendant que leur histoire défile à l’écran comme dans un film muet. Les bruitages et la musique, jouée en direct par un pianiste et un percussionniste, accompagnent le jeu et l’image. Bienvenue dans le ciné-spectacle Blanche-Neige ou la chute du Mur de Berlin, à découvrir au Théâtre Am Stram Gram à Genève du 19 au 24 janvier après un succès parisien.

 

Il était une fois une reine qui se désolait de ne pas avoir d’enfant. Un jour, elle se pique le doigt en cousant. Des gouttes de sang tombent sur la neige. «Si j’avais un enfant au teint blanc comme la neige, aux lèvres rouges comme le sang et aux cheveux noirs comme le bois d’ébène!» se dit la reine, qui meurt peu de temps après en accouchant d’une petite fille nommée Blanche-Neige. Le roi la remplace alors par une belle mais méchante épouse, orgueilleuse et jalouse de sa fille et dont le miroir magique lui répète qu’elle est la plus belle femme du royaume, jusqu’au jour où elle se voit détrônée par Blanche-Neige devenue plus belle encore que sa marâtre. Voilà l’histoire telle que la racontent les Frères Grimm, s’inspirant eux-mêmes d’une légende germanique. Ici, les créateurs de Blanche-Neige ou la chute du Mur de Berlin ont eu d’autres idées en tête. «L’histoire se situe dans une banlieue française en 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin», détaille Métilde Weyergans. La comédienne, coscénariste et coconceptrice du spectacle avec Samuel Hercule, incarne Blanche et Elisabeth au micro. Par son travail d’interprétation, elle fait exister les deux personnages de manière différente sur le plateau. «Les références à l’Histoire interviennent par petites touches, lorsque la belle-mère écoute la radio ou regarde la télé. Mais mine de rien, elles sont présentes en fond. Nous sommes allés chercher des images d’archives», poursuit-elle.

 

Adolescente rebelle

Voilà comment, à l’été 1989, au dernier étage de la plus grande tour du «Royaume» (une cité HLM non loin d’une forêt), Elisabeth élève seule sa belle-fille Blanche, adolescente rebelle amie d’un rat blanc. «Je m’appelle Elisabeth, j’ai quarante-deux ans, et mon rôle dans cette histoire, c’est celui de la méchante qui, à la fin, meurt le cœur brisé, les pieds brulés au fer blanc ou perd la tête, ça dépend des versions… Mais justement tout ce qu’on vous a raconté est faux. Et j’en connais une qui n’est pas blanche comme neige. Personne ne m’a jamais demandé ma version des faits. Eh bien, puisque vous êtes là, je vais vous la donner», raconte d’emblée cette belle-mère des temps modernes au début du spectacle. Blanche a perdu sa mère quand elle était petite et son père trapéziste est parti rejoindre sa nouvelle conquête, elle-aussi trapéziste, dans un cirque en URSS pour y vendre des pommes d’amour. Blanche et sa marâtre vont alors entamer leur vie à deux, soudées comme mère et fille. Jusqu’à ce que la communication se rompe et qu’un mur se construise aussi entre elles deux.

 

 

Résonances actuelles

«Nous avons beaucoup travaillé sur l’adaptation de contes, notamment une version d’Hansel et Gretel. Ce n’est pas par hasard qu’ils se transmettent de générations en générations. Chacun apporte sa touche en les racontant. Nous, nous amenons la nôtre par notre nouvelle façon de les évoquer avec des résonances plus actuelles», explique Métilde Weyergans. Montrer une Blanche-Neige différente. «Nous sommes sortis des stéréotypes de la jolie jeune fille un peu naïve qui subirait les foudres de la belle-mère jalouse voyant sa jeunesse disparaître. On avait envie de créer et d’envisager des rapports humains différents de ceux véhiculés par les contes ayant perduré sans évoluer sur le fond.» Comment parler de Blanche-Neige aujourd’hui? En questionnant par un autre prisme la stigmatisation de l’opposition souvent généralisée entre la femme jalouse qui vieillit et la jeune fille. «Au-delà du symbole, la chute du Mur résonne pour la belle-mère qui conçoit des retrouvailles possibles avec sa belle-fille, comme elles l’ont été dans l’histoire de l’Allemagne», poursuit la comédienne.

 

 

Le concept de ciné-spectacle

Timothée Jolly, pianiste, en a composé la musique originale, qu’il joue sur scène accompagné d’un percussionniste. C’est par de petits courts métrages bruités dans des cafés par Samuel Hercule et Timothée Jolly que la compagnie a démarré il y a une vingtaine d’années. Avec plusieurs courts métrages à son actif (Paul Ravel n’a plus sommeil, 2007, La Chaîne du froid, 2009), la Cordonnerie a ensuite développé son propre concept scénique. «Nous avons trouvé cette forme du ciné-spectacle qui nous permettait d’allier cinéma et théâtre, et musique, et globalement le son car il y a beaucoup de bruitage en direct», commente-t-elle. «D’abord, on écrit un scénario de cinéma dans lequel on imagine ce qu’on va pouvoir faire sur scène parallèlement. Ensuite, on prépare le tournage. Puis on tourne six jours sur sept pendant trois semaines avec une équipe professionnelle de cinéma.» Démarrent alors les répétitions sur scène avec les comédiens pendant quatre à cinq semaines et le travail sur les bruitages comme dans un film muet. Un processus long et complexe à mettre sur pied. «A la base de notre travail, il y a à la fois quelque chose de très technique et de très artisanal», relève la comédienne qui précise observer tout simplement au moyen de rétroviseurs ce qui se passe sur l’écran lorsqu’elle se trouve sur le plateau face au public.

Au-delà du symbole, la Cordonnerie a choisi d’ancrer Blanche-Neige ou la chute du Mur de Berlin dans cette Allemagne de la fin des années 1980 pour interroger la manière dont un événement peut influer sur la vie privée. «La Chute du mur de Berlin était en outre le dernier événement de l’Histoire vécu de manière joyeuse et libératrice.» De quoi donner le ton de cette Blanche-Neige résolument d’aujourd’hui.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Blanche-Neige ou la chute du Mur de Berlin, dès 8 ans, du 19 au 24 janvier au Théâtre Am Stram Gram à Genève.

Renseignements et réservations au +41 (0)22.735.79.24 ou sur le site du théâtre www.amstramgram.ch

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