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Au-delà du désir charnel

Publié le 12.07.2016

 


Le théâtre de l’Orangerie de Genève accueille en première suisse du 12 au 23 juillet la pièce Tuyauterie, écrite et mise en scène en 2014 par l’écrivain et cinéaste Belge d’origine iranienne Philippe Blasband, également connu comme scénariste pour les films Une liaison pornographique avec Nathalie Baye en 1999 et Irina Palm avec Marianne Faithfull en 2007. Dans Tuyauterie, il a choisi l’humour pour parler de sexualité, détournant les a priori sur l’appartenance pour mieux interroger le désir et révéler une solitude existentielle. Sur scène, un tuyau d’évacuation de douche, un plombier (Charlie Dupont) et une femme en petite tenue (Tania Garbarski). Rencontre avec Philippe Blasband.

 

 

Vous avez écrit Tuyauterie suite au souhait de Tania et Charlie de former un couple à la scène comme à la vie. Dans quelle mesure vous ont-ils inspiré pour créer les personnages de cette pièce?

En aucune manière. Je connais Tania depuis son adolescence pour avoir beaucoup travaillé avec son père à l’écriture des scénarios de plusieurs films. Un jour elle m’a fait part de sa recherche d’une pièce où elle pourrait jouer avec son concubin. Je n’en avais pas une toute faite à lui proposer, mais j’avais une idée de pièce depuis très longtemps. J’avais envie d’écrire sur ce moment, dans les films pornographiques, où il n’y a pas de sexe, et de le développer jusqu’à atteindre une heure et quart de spectacle. Dans Tuyauterie, cet instant est celui où le plombier arrive chez cette femme qui lui propose de le payer en nature. Mais si le plombier acquiesce ici à la proposition qui lui est faite, il voudra d’abord savoir pourquoi elle souhaite cette relation qui a priori n’engage pas ses sentiments.

 

Etre en couple sur ces deux plans comporte-t-il des pièges auxquels le metteur en scène doit être attentif?

Il faut toujours être attentif, mais c’est vrai qu’il y a un fonctionnement de couple qui peut venir interférer dans leur jeu pour le meilleur comme pour le pire. Quand deux comédiens tombent amoureux, c’est toujours très particulier, et ce peut être tout à fait au détriment de la pièce, comme lorsque deux comédiens se détestent. Je connaissais indépendamment un homme et une femme, qui par la suite se sont mariés et que je n’ai revu qu’après quinze ans. A ce moment-là j’ai pu voir les mécanismes nés de leur relation, comment chacun s’était mis à fonctionner par rapport à l’autre, révélant des pans de leurs personnalités que je ne connaissais pas lorsqu’ils étaient célibataires. Ces automatismes, raccourcis et autres énervements subis font effectivement partie du lot, surtout après de nombreuses années de vie commune. Au-delà de ça, vous mettez deux personnes ensemble sur scène et il y a toujours quelque chose qui se passe, et en cela ce n’est pas différent. Dans un sens, cela renforce leur jeu, jusqu’à ce que les personnes soient lassées l’une de l’autre, et encore, on connait des couples qui signent des carrières communes de plus de 50 ans. Quand vous travaillez avec votre conjoint, vous ne pouvez pas tricher et c’est cette vérité que Tania et Charlie amènent dans leur jeu.

 

Quel genre d’homme est ce plombier qui questionne les avances d’une femme qui s’offre à lui et compare la plomberie au Dieu créateur ou à la beauté du vagin?

Ce personnage est une sorte d’intellectuel sauvage. J’adore les gens qui intellectualisent sur des sujets qui ne leur sont pas habituels; quand ils analysent ce qui leur arrive, pas de manière fautive mais avec beaucoup d’aplomb, et trouvent de grandes maximes ou de grandes comparaisons dans des domaines où on ne les attend pas. Comparer la sexualité à des accès pratiques est aussi une source de comédie presque automatique. J’ai choisi un homme plombier parce que j’aime aussi beaucoup les gens qui exercent des métiers dont le savoir-faire est une source intarissable et fascinante pour celui qui aime véritablement son métier.

 

 

Alors, une simple histoire de cul, ça existe ou ça n’existe pas d’après vous?

Au-delà des clichés, j’aimerais vraiment nuancer le fait que la sexualité est beaucoup plus liée au sentiment que ce que peuvent nous faire croire les garçons et qu’elle est beaucoup plus joyeuse et détachée des sentiments que ce que veulent nous faire croire les filles. Je crois qu’une simple histoire de cul n’existe pas ou alors c’est une manière de couper avec la part affective de la relation. Des hommes sont parfois tombés amoureux de prostituées. Il y a toujours un lien qui se crée lors d’une relation sexuelle me semble-t-il, que certains choisissent d’ignorer, mais qui existe.

 

Pour terminer, peut-on affirmer que les interrogations ramènent toujours à Dieu au final?

C’est un aspect indéniablement comique que de passer de la plomberie à Dieu par un raccourci. Mais c’est aussi un aspect des religions que de se rapprocher du quotidien. Tuyauterie est une comédie, pas du Kant ou du Descartes. Le pourquoi du plombier et un pourquoi très concret à ce moment-là: pourquoi elle, pourquoi lui, ce qui l’amène à des considérations métaphysiques légères en mettant tout dedans plomberie, sexe et autres. Faire des développements qui débordent complétement jusqu’à la limite de l’absurde est un trait éminemment belge.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Tuyauterie, de Philippe Blasband, au Théâtre de l'Orangerie à Genève du 12 au 23 juillet 2016.

Renseignements et réservations sur le site www.theatreorangerie.ch

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