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A l’Opéra des Nations, visite dans les bas-fonds de Londres

Publié le 03.10.2018

 

The Beggar’s Opera, proposé à l’Opéra des Nations à Genève du 3 au 7 octobre, va tout faire pour faire mentir son âge. Il y aura des chorégraphies, des danses, un orchestre qui parfois improvise… Pour le metteur en scène Robert Carsen, la première comédie musicale de l’histoire méritait une actualisation!

Au XVIIIe siècle, le spectacle avait déjà fait grand bruit, s’appropriant et prenant à rebrousse-poil les codes de l’opéra italien. Le livret de John Gay ne met pas en scène des déesses et des bergers dans une clairière, mais des criminels et des prostituées dans les bas fonds de Londres. Près de 300 ans plus tard, la satire sociale n’a rien perdu de son mordant ni de son acuité. Quant à l’intrigue… L’action met en scène un bandit grand séducteur, et des parents qui décident de le faire pendre pour protéger leur fille des dangers du mariage. De taverne en prison, l’amour triomphera-t-il de la mort?

 

The Beggar’s Opera créé en 1728 est présenté comme une œuvre pionnière, mais s’agit-il pourtant d’un opéra tel qu’on l’entend aujourd’hui?

Ce n’est pas du tout un opéra. Il en a le nom – Opéra des gueux – pratiquement pour en rire. L’œuvre est une pièce de théâtre avec des chansons, et je l’ai toujours considérée comme la première comédie musicale, qui fonctionne comme une sorte de juke-box car toutes les chansons existaient déjà lorsque le spectacle original a été monté – aucune n’a été composée spécialement pour le spectacle. Même si John Gay a réécrit toutes les paroles pour les faire coïncider avec l’action du drame. L’idée des auteurs était d’écrire une pièce qui serait complètement en opposition avec les thèmes des opéras italiens qui enflammaient Londres en cette première partie du XVIIIe siècle. Et donc, plutôt que de mettre en scène des dieux, des déesses, des héros et des rois, de consacrer des criminels de toutes sortes dans les bas-fonds de la ville. Et de les faire chanter des airs populaires de vingt secondes à une minute et demi que tout le monde connaissait. C’était totalement nouveau. Et l’appellation de Beggar's Operasignifiait qu’il s’agissait de quelque chose de rude, d’éphémère, complètement en contraste avec les fastes des opéras italiens.

 

Depuis notre époque, la démarche semble être porteuse d’un humour typiquement britannique.

Oui, et à l’époque cela a créé une sensation. Le premier spectacle a donné lieu à presque soixante-dix représentations, ce qui était sans précédent. Il a souvent été repris par la suite, et a donné lieu à de nombreuses adaptations, la plus célèbre étant bien entendu L’Opéra de quat’sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht.

 

L’Opéra des Gueux a-t-il établi des codes repris par d’autres créateurs. A-t-il lancé un mouvement, une tradition?

Pas vraiment. C’est toujours demeuré quelque chose d’étrange et de rare. Créer une œuvre à partir de chansons et d’airs populaires écossais, irlandais, anglais et sans doute aussi gallois, avec un peu de Purcell et de Haendel a inspiré sans doute d’autres artistes… N’étant pas musicologue, je ne saurais vous dire exactement de quelle manière. Mais cela reste quelque chose de très anglais, avec un sens de l’humour très reconnaissable. Et c’est ce qui m’a donné envie de l’actualiser.

 

 

Une reconstitution, un regard sur le Londres des années 1720 ne vous tentaient pas?

Je considère que les références sont perdues. La politique et la société de l’époque ne nous parlent plus du tout. Selon nous, le meilleur moyen de préserver la fraîcheur et l’esprit de l’original considérait à l’actualiser. Il est vrai que j’ai toujours eu un grand problème avec les reconstitutions historiques. Parce que vous pouvez reconstituer à peu près tout sauf le public. Et personnellement, je ne sais pas comment aborder ce changement. Je ne veux pas dire que c’est impossible, d’autres pourraient réaliser des interprétations de grande qualité. Ce n’est juste pas ma tasse de thé.

 

L’œuvre arrive avec une image de production légère et souple.

Il fallait trouver des solutions pour retrouver le caractère original. Comme je l’ai dit précédemment, à l’opposé des fastes de l’opéra italien, les spectateurs de l’époque découvraient une œuvre qui semblait plus immédiate, plus éphémère. Donc, déjà avec le décor et les costumes, il n’aurait pas été juste de proposer quelque chose de trop compliqué ou d’élaboré. Et très vite le public comprend l’esprit du spectacle. Nous avons travaillé au Théâtre des Bouffes du Nord, qui est comme vous le savez une salle très particulière, mais nous savions qu’il devait être monté sur des scènes de dimensions variées. Donc ce n’est pas forcément une œuvre pour petite scène.

 

De nos jours, les comédies musicales peuvent tourner pendant des années. Avez-vous des projets?

La tournée proprement dit vient à peine de débuter, et va se poursuivre jusqu’en février. Ensuite, il est vrai qu’il y a une demande pour aller dans d’autres pays. Et peut-être aussi pour retourner à Paris, où le spectacle a été très bien accueilli. Mais il est encore un peu tôt.

 

Propos recueillis par Vincent Borcard

 

The Beggar’s Opera, de Johann Christoph Pepusch, livret de John Gay. Nouvelle version de Ian Burton et Robert Carsen. Conception musicale de William Christie.

Opéra des Nations à Genève du 3 au 7 octobre 2018. Renseignements et réservations au +41.22.322.50.50 ou sur le site www.geneveopera.ch

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