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Le Théâtre Forum Meyrin lâche les chiens

Publié le 21.01.2016

 


Jouir du surréalisme et rire de la pudeur. Voilà la mission que se sont fixée les Chiens de Navarre qui feront leur festival au Théâtre Forum Meyrin du 26 au 30 janvier avec deux pièces, une performance et un film. Cette bande, comparée dans la presse à l’équipe du Splendid ou à celle des Monty Python, ne fait pas de mystères: leurs pièces sont conseillées dès 16 ans (le film dès 13 ans), les premiers rangs sont priés de ne pas avoir froid aux yeux et les âmes sensibles de s’abstenir. Pour leur premier passage à Genève, le Théâtre Forum Meyrin leur a donné carte blanche. Rencontre avec le chef de meute, Jean-Christophe Meurisse.

 

 

La spécificité des Chiens de Navarre tient dans le fait que chaque comédien est aussi auteur à part entière de l’écriture, avant et durant le spectacle. Au même titre, le spectateur est considéré comme un acteur potentiel. En 2005, le comédien Jean-Christophe Meurisse est rassasié du théâtre classique où il ne voit qu’un prolongement de l’éducation nationale. Avec cinq amis partisans d’un théâtre vivant (venant d’horizons aussi divers que la philosophie, le cirque ou encore la vidéo), il fonde les Chiens de Navarre. Onze comédiens composent la bande aujourd’hui: Anne-Elodie Sorlin, Céline Fuhrer, Caroline Binder, Charlotte Laemmel, Claire Delaporte, Solal Bouloudnine, Robert Hatisi, Thomas Scimeca, Manu Laskar, Jean-Luc Vincent, Maxence Tual.

Si Jean-Christophe Meurisse s’occupe essentiellement de la mise en scène et de la scénographie de leurs productions, il préfère se qualifier de chef d’orchestre d’une création collective. Il propose un cadre fugace aux comédiens avec l’appui de photos, de musique ou de quelques mots. Puis un travail proche de l’inconscient commence pour les comédiens, qui, par l’improvisation, donnent libre cours à leur imagination. De ces longues heures d’improvisation naît une sorte d’écriture scénique automatique: une dizaine de propositions sont retenues, formant un canevas de quatre à cinq pages à la pièce, le reste est improvisé chaque soir. Pour que les spectateurs puissent apprécier cette méthode de travail, la troupe a créé une performance d’improvisation intitulée Regarde le lustre et articule (2010), reprise le 28 janvier à Meyrin, qui sera suivie d’une rencontre avec la compagnie. Pour cette lecture performée interrogeant l’essence de l’acte artistique, les Chiens de Navarre se sont inspirés d’une phrase que Louis Jouvet aurait adressée à un pauvre comédien à bout d’invention: «Quand tu ne sais plus quoi faire, regarde le lustre et articule.»

 

En quoi la performance se différencie-t-elle des pièces que vous proposez durant le festival?

Dans la performance il n’y a ni début ni fin et la représentation est totalement unique. Dans Regarde le lustre et articule, les comédiens semblent s’être réunis pour une lecture de plateau, livre à la main, et ils nous font croire que ça va être très pénible. Mais très vite on s’aperçoit que le texte n’existe pas. Les acteurs tournent des pages blanches et improvisent des dialogues devant nous. Le travail de naissance de notre troupe est d’essence également puisqu’il est le même depuis dix ans. Les propos pourront avoir des allure dadaïstes, drôles ou encore politiques, selon les humeurs des acteurs et la complicité du public. Je trouve cet exercice d’abandon dans l’écriture très beau, et cela à huit acteurs, ce qui lui donne un caractère accidentel et très fragile, mais très puissant dans sa manière de faire et sa représentation. Le début de l’histoire qui n’est pas écrite peut commencer par une didascalie qui dit qu’un homme entre et voit une femme ivre dans le canapé.

 

Une raclette est le spectacle avec lequel vous vous êtes fait connaitre en 2008. Qu’est-ce qui a séduit le public et fait son succès d’après vous?

Son insolence, ses comédiens et cette forme de satyre de la société française. Son thème également: le rapport entre le masque social qu’on porte dans un dîner et la pulsion sauvage. Le fait que les acteurs s’adressent au public et fassent de l’esprit en direct y est sans doute aussi pour quelque chose. On y voit distinctement la vie et son énergie.

 

Pourquoi avoir choisi de montrer dans quelles extrêmes nos pulsions pourraient nous emmener?

C’est une thématique un peu obsessionnelle chez les Chiens de Navarre. Nous trouvons très amusant de montrer les représentations du conscient et de l’inconscient sur un plateau. Et ce décalage entre le ça et le moi peut être autant comique que pathétique ou encore touchant. En partant simplement d’une table et de huit chaises, d’un vrai repas avec du vrai vin et du vrai fromage sur le plateau, les comédiens imaginent quel genre de vraies discussions ils pourraient avoir avec des gens qu’ils ne connaissent pas, en l’occurrence, un dîner entre voisins. Au début on parle de banalités et après un moment chaque figure autour de la table fait parler son inconscient. Kubrick disait qu’en chacun de nous on peut tuer ou violer et on trouvait intéressant de le faire au milieu d’une raclette (sourires). Drôle et satyrique, cette pièce dresse un tableau de la société où règne peur et intolérance. Comme un miroir, sans jugements, ni les acteurs ni le public ne sont sauvés dans ce bateau d’humanité et de maladresse.

 

 

Dans Quand je pense qu’on va vieillir ensemble(2013), vous pointez du doigt la pauvreté du lien social d’aujourd’hui. Qu’exprime la phrase de l’écrivain suédois Stig Dagerman, «Notre besoin de consolation est impossible à rassasier», que vous avez pris comme point de départ de vos répétitions-improvisations?

Ce spectacle parle surtout de l’autonomie de penser. A la télévision, comme sur Internet, on s’est aperçu que beaucoup de programmes portaient sur le coaching: apprendre à bien s’habiller, à être heureux, performant, au travail, sexuellement, affectivement, comme s’il fallait chercher à être LE meilleur sinon rien. Pour nous c’est symptomatique d’un profond isolement social que beaucoup ne s’avouent pas. Comme si cette présence massive du coaching révélait une certaine régression sur les choses élémentaires de l’enfance pouvant aller à certains moments jusqu’à la mise à nu et à l’humiliation. C’est en cette perte de repères de l’ordre de l’effondrement, cet appel au secours, que se concrétise la phrase de Dagerman.

 

Vos pièces tiennent du grand reportage, tout comme votre travail de dramaturge se réfère à celui du monteur au cinéma. C’est donc naturellement que vous vous êtes lancé dans la vidéo, avec le moyen métrage plusieurs fois primé Il est des nôtres (2013).

L’histoire que j’avais en tête ne se prêtait pas au théâtre et la vidéo m’a permis une expression plus personnelle que celle que j’ai avec les Chiens de Navarre, même si certains amis de cette bande font quelques apparitions dans le film. Il y a également une forme de continuité dans le travail du texte par l’improvisation. Comme base au scénario, je suis parti d’une interrogation personnelle: comment pourrais-je vivre autrement aujourd’hui? Par exemple, en vivant reclus hors de la société, comme Thomas (le personnage principal du film interprété par Thomas de Pourquery) qui vit depuis plusieurs années dans sa caravane à l’intérieur d’un hangar d’une métropole française. Loin de certains et plus proche d’autres, il est heureux.

 

Avez-vous d’autres projets filmiques?

Mon premier long métrage intitulé Apnée devrait sortir ce printemps ou cet automne. C’est l’histoire d’un trio qui traverse toute la France en quad. Un genre de road-movie où les valeurs familiales, religieuses ou encore économiques sont remises en question à la Diogène, un peu comme dans Mort à l'arrivée (D.O.A.) (1950) de Rudolph Maté, mais avec légèreté.

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

Les Chiens de Navarre font leur festival - Théâtre Forum Meyrin du 26 au 30 janvier 2016

Au programme de cette Semaine qui décoiffe :

> Le 26 janvier - Quand je pense qu’on va vieillir ensemble (théâtre)
> Les 26, 28 et 30 janvier - Il est des nôtres (film)
> Le 28 janvier - Regarde le lustre et articule (performance d’improvisation suivie d’une rencontre avec la compagnie)
> Le 30 janvier - Une raclette (théâtre)

Renseignements et réservations au +41.22.989.34.34 ou sur le site du théâtre www.forum-meyrin.ch

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