La faillite du Congo vue par un missionnaire

Publié le 13.11.2015

 


Le Congo, cet état «en faillite» ravagé par la guerre, parmi les plus pauvres de la planète et pourtant l’un des plus riches en ressources minières, est depuis toujours lié à sa vie. Son attachement pour le pays a même démarré avant sa naissance, en 1971, du temps où son père y avait vécu. Installé à Bruxelles, David Van Reybrouck s’est rendu de nombreuses fois dans le pays. En tant que journaliste, ses reportages ont été publiés dans le quotidien de référence flamand De Morgen, où il a été co-éditorialiste. En 2007, ses séjours dans l’ancienne colonie belge et sa rencontre avec des missionnaires lui inspirent Mission, couronné de prestigieux prix. Pour la seconde fois, la Comédie de Genève accueille la production du KVS, Théâtre royal flamand de Bruxelles, devenue un succès sinon planétaire, du moins européen. Dans un seul en scène, le comédien flamand Bruno Vanden Broecke incarne le Père Grégoire, un prêtre blanc donnant une conférence sur sa mission au Congo.

 

Mise en scène par Raven Ruëll, membre de la compagnie artistique du KVS, la pièce a été écrite spécialement pour le comédien. «Quand je vais en vacances pour souffler un peu… A la maison, les premiers jours, les premières semaines, impossible de lire un journal. Rien. Ça ne va pas. On est fatigué, vidé, épuisé. On voit surtout des gens, hein. (…) J’ai fait plus de cent vingt visites, la dernière fois. C’est beaucoup trop, à vrai dire. Et on fait un prêche ici ou là, dans la paroisse, on peut encore prêcher. Sept minutes. Pas plus. En Europe, on ne peut pas prêcher plus longtemps. Moi je dis alors: ‘Sept minutes? Je ne le fais pas.’ ‘Bon, alors, dix minutes, parce que c’est toi, parce que t’es missionnaire.’ (…) Je le remarque souvent, les gens disent: 'Vous êtes missionnaire? Racontez-nous un peu…’ Et puis ils écoutent un moment, mais après cinq minutes, ils se mettent déjà à parler d’eux mêmes. De l’école de leurs enfants, de la route qui y mène, et qui est si dangereuse. Si vous saviez, je me dis. Toutes ces voitures, qu’ils disent… non, mais c’est pas croyable. Et alors ils l’amènent en voiture aussi, leur petit… Des routes dangereuses… Estimez-vous heureux d’en avoir, des routes! Au Congo, il n’y en a plus. J’ai tout vu changer. Quand je suis arrivé, on pouvait rouler d’un côté du Congo à l’autre. De Boma, qui est à la mer, à Moba sur le lac Tanganyika.», raconte le missionnaire derrière son micro. Tente-t-il de convaincre son auditoire que l’ère colonialiste de la Belgique possédait aussi ses côtés positifs? Vise-t-il à convertir des spectateurs fidèles à sa cause?

 

L’engagement aujourd’hui

«Avec cette pièce, je veux sonder les conditions qui permettent l’engagement aujourd’hui. Pas seulement religieux, mais aussi artistique. Et pour moi le missionnaire est une sorte d’aune: quelqu’un qui a choisi de vivre selon ses convictions et qui est parfois prêt à assumer les conséquences écrasantes de ce choix. Aujourd’hui, ce n’est plus si simple de prendre la foi catholique au sérieux ou de comprendre comment cette foi peut être un terreau si éminemment fertile pour son engagement. C’est comme ça, tout simplement et de ce point de vue, l’écriture de cette pièce est une lutte. Une lutte avec l’héritage de la foi catholique. Après une rencontre avec le catholicisme, je suis devenu athée, en conscience, assez jeune. Ce projet est pour moi une sorte de nouvelle rencontre avec le catholicisme et en même temps aussi un adieu définitif. Certains points de départ de la fois catholique sont devenus inacceptables à mes yeux. Il s’agit des axiomes très essentiels, comme l’existence de Dieu, de l’au-delà et du sens de la souffrance. En même temps, j’ai été très impressionné par plusieurs de ces missionnaires et je sais que mon admiration pour ces personnes, pour le travail qu’elles font, n’est pas détachée de leur foi. Camus a dit: ‘Il faut être un saint sans Dieu.’ La question est de savoir s’il est possible ‘d’être missionnaire sans Dieu’, expliquait David Van Reybrouck dans un entretien avec le KVS paru en 2007.

 

 

Parcours couronné

David Van Reybrouck a mené une brillante carrière universitaire sur plusieurs fronts. Il a étudié l’archéologie et la philosophie aux universités de Louvain et de Cambridge. Son parcours d’historien, journaliste, essayiste et dramaturge est intrinsèquement lié à l’Afrique, et en particulier au Congo, qui a selon lui «toujours disposé de tout ce dont le capitalisme mondial avait besoin.» A commencer par des esclaves du temps de la traite, ensuite de l’ivoire livré à l’Europe pour confectionner ses pianos et ses billards, ou encore du caoutchouc pour fabriquer des pneus, du cuivre servant à produire les obus qui ont décimé les populations durant les deux guerres mondiales, sans compter de l’or, de l’uranium et bien d’autres ressources encore.

Ainsi, dans son premier monologue, L’âme des termites (2004), cours sur les termites donné par un biologiste expatrié dans le pays, le protagoniste revient sur les événements de ses années passées dans la riche province du Katanga, après l’indépendance. La pièce a reçu le Prix de Théâtre de l’Union de la langue néerlandaise l’année de sa parution, ainsi que le Prix quinquennal pour les arts de la scène. Cette œuvre dramatique est parue en français en même temps que Mission, en 2011, qui lui avait valu en 2008 le prix de l’Arche de la libre parole, le plus prestigieux prix flamand accordé chaque année à une personnalité, une institution, un intellectuel, un artiste ou un écrivain. Entre œuvre historique et récit de voyage, Congo, une histoire, son best-seller, toujours traduit en français par Actes Sud, a reçu le Prix Médicis Essai en 2012. L’auteur y avait recueilli les témoignages d’environ cinq cents Congolais de tous âges, ethnies, milieux et régions rencontrés au cours de sa longue enquête.

Aujourd’hui, Mission, un choc théâtral pour certains, livre le récit des guerres, de l’horreur et de la misère d’un pays par une plume aguerrie et le jeu d’un comédien qui l’est tout autant.

 

Mission, Comédie de Genève du 17 au 22 novembre 2015.

Informations et réservations au +41.22.320.50.01 ou sur le site du Théâtre www.comedie.ch


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