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L’ADC où dansent Les Aviateurs

Publié le 19.01.2015

 

Les voltigeurs du ciel et leur musique, selon Yann Marussich

 

Sur la feuille de papier pourrait être dessiné un cube, comme une télévision, avec dedans : un avion. Yann Marussich travaille ses projets en esquissant ses idées sur des cahiers. La première question, les premières images se posent là, en croquis. Et un de ces soirs où, alangui, il se promène sur le petit écran, un reportage consacré à la Patrouille de France le saisit. Une image tout particulièrement : des pilotes, mains devant eux, yeux fermés, regroupés dans une salle, répètent avec minutie des manœuvres. « Lâchez… 30°… reprendre… ». Ce moment a un nom : la musique. « Cette matière chorégraphique avait un sens très clair, dit Yann. Tous ces mouvements garantissent leur vie, tu décroches un quart de seconde et c’est la fin… Dès lors ce mot de « musique » associé à ces gestes a été un déclic. »

 

Ces instants de concentration ultime, c’est la philosophie du marquage, il faut que la chorégraphie s’inscrive au plus profond du corps, avec minutie, patience, répétition. « C’est le langage du non-dit. Le non-dit, non pas parce que tu ne veux pas le dire, mais parce que tu n’as pas le temps. En vol, les aviateurs n’écoutent pas ce qu’ils se disent mais le ton de leurs voix. C’est ce ton qui leur indique tout… En danse, c’est un peu la même chose, le risque en moins. Tu regardes ta partenaire et tu sais ce qui va se passer. Par la suite, j’ai découvert que le jargon des pilotes avait de nombreuses similitudes avec celui de la danse. Le pont était fait, la poésie commençait là. »  

 

 

Comme un rêve accompli

Il part alors à la rencontre d’Adam et Marianne Shaw, dits Les Captens, couple dans la vie, partenaires de figures aériennes dans le ciel. « Le travail consiste avant tout à apprendre à s’approcher d’un autre avion et laisser un autre avion s’approcher de nous, ce que notre cerveau reptilien refuse de toutes ses forces, explique Marianne. Pire, pour être sûrs de ne pas avoir à se rapprocher, il faut, d’emblée, commencer tout près… L’autre est en même temps celui qui assure, celui qui peut rassurer, mais aussi celui qui pourrait faire peur, il a quand même, d’une certaine façon, votre mort entre les mains. Imaginez ce qui se passerait si, par malheur, on « marchait sur les pieds » de l’autre... ». Les idées que l’on se fait des aviateurs, d’un monde où adrénaline flirterait avec prise de risques, sont à effacer. « Comme la littérature, la peinture, la musique, la danse, ou la vie, explique Adam, voler est trop beau pour le faire mal et trop grave pour le faire à la légère… »

 

Cela faisait quelques années que Yann Marussich avait quitté le milieu chorégraphique pour se consacrer aux performances. « Il me fallait une réelle nécessité pour y revenir. Cette notion de marquage en fut la raison. Je ne suis pas dans la limite physique, cette fois, mais dans la limite de l’imaginaire. Je cherche une radicalité poétique. C’est un peu une sorte de schizophrénie : ce n’est pas le « moi » poussé à bout, c’est le « moi » poussé dans une poésie douloureuse qui n’implique pas, comme dans mes autres performances, la notion de mise en danger. Il faut donc trouver la force autre part, c’est à cet endroit là que je cherche à travailler et je trouve de nos jours très difficile de toucher les gens par la douceur. » Sur scène : six danseuses, un danseur qui est aussi la voix du texte écrit par Yann, Marianne et Adam, et un tarmac en transformation. Le tout premier dessin, le vrai, c’est un personnage seul. Un enfant, nu, qui traîne derrière lui un parachute. Comme un rêve accompli, à relancer très haut.

 

Karelle Ménine, Journal de l’ADC / n° 65

 

Les Aviateurs, du 3 au 7 février 2015 à l’ADC, Salle des Eaux-Vives à Genève (dans le cadre du Festival Antigel). Réservations au +41 22 320 06 06 ou sur le site de l'ADC www.adc-geneve.ch

Autour du spectacle
Jeudi 5 février - rencontre et discussion avec les artistes à l’issue de la représentation

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