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Jackson Bay, la rencontre de solitudes

Publié le 12.01.2017

 

Stéphanie Blanchoud est une artiste aux multiples talents. Bien connue du public suisse romand comme chanteuse, elle est pourtant actrice de formation – et tient notamment le premier rôle dans la série belge Ennemi Public. Au théâtre, Stéphanie Blanchoud n’en est pas à son coup d’essai: Jackson Bay est sa cinquième création. Dans un décor épuré aux apparences de vaisseau spatial, quatre individus se retrouvent coincés par une tempête qui fait rage au dehors. Mais celle-ci ne tarde pas à envahir également les esprits… Place à l’angoisse! À découvrir au Théâtre du Loup à Genève du 17 au 28 janvier 2017.

 

 

Comment avez-vous eu l’idée d’écrire Jackson Bay?

J’ai eu l’inspiration sur place. Il y a maintenant trois ans, j’ai fait un voyage en Nouvelle-Zélande et je me suis retrouvée dans ce lieu complètement isolé, Jackson Bay. C’est un endroit qui ressemble à un petit village de pêcheurs. Il y eut une tempête, quoique pas aussi terrible que celle de la pièce... Et ce lieu me parut être le point de départ idéal d’une histoire pour le théâtre. Il existe dans les campings de Nouvelle-Zélande des kitchens, dans lesquelles on peut évidemment cuisiner, mais aussi dormir et se laver. C’est l’endroit où tout le monde se croise, et c’est dans cet espace que les personnages de la pièce restent bloqués à cause d’une tempête.

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’intrigue?

Lors d’une tempête, quatre touristes sont bloqués dans un camping où ils prévoyaient de passer seulement une ou deux nuits. Ils y restent finalement trois jours et demi, en vivant les uns sur les autres. Dans un espace sans réseau téléphonique, c’est suffisant pour que des multitudes de choses se passent. La pièce démarre comme un huis-clos absurde et un peu comique. Mais au fil des heures qui passent, les personnages se retrouvent sans échappatoire, et l’on s’aperçoit bien vite de leurs névroses. Trois des personnages ont en commun de faire le deuil de quelqu’un. Coincés au milieu de rien, ils sont envahis par le poids et la charge de la mort.

 

Comment les personnages gèrent-ils ce poids du passé qui les poursuit?

Ce qui me plaît de façon générale dans l’écriture de mes pièces, c’est d’illustrer la tentative de rentrer en contact avec l’autre, la tentative de dire des choses que finalement on n’arrive pas à dire. Mais je n’aborde pas cette tension de façon explicative. Les quatre protagonistes souffrent de névroses: l’une passe son temps à tout ranger, un autre écrit des lettres à sa mère. Chacun a sa façon de gérer l’angoisse et la solitude. J’avais envie de mettre en scène cette situation absurde où l’on se retrouve au bout du monde, coupé de tout, ne sachant pas comment communiquer avec l’autre. Le temps s’en trouve décuplé: quand on est loin de tout, quelques jours paraissent des mois.

 

Pourquoi avoir choisi un décor surréaliste?

Je n’avais pas envie de faire quelque chose de naturaliste. Quand je vais au théâtre, je ne veux pas qu’on me fasse croire que je vais voir un camping en Nouvelle-Zélande. On sait tous très bien qu’on est au Théâtre du Loup. Ce qui compte pour moi, c’est d’avoir un espace clos, et que la tempête puisse se dérouler aussi à l’intérieur de cet espace. Les quatre individus, munis de leurs obsessions, se retrouvent comme des lions en cage. Évidemment, ça ne peut pas bien se passer…

 

Qu’est-ce qui est le plus important dans votre mise en scène, les corps ou les mots?

Le plus important pour moi, c’est ce qu’il y a derrière les mots. Les mots sont des bouées auxquelles on s’accroche lorsque les émotions sont tellement fortes qu’à un moment donné, on est forcé de parler. Les mots qu’on parvient à prononcer ne sont souvent pas ceux que l’on voudrait dire. Si le contenu de la pièce est extrêmement concret et rempli de petites choses du quotidien, il y a aussi des moments où l’on est complètement dans la tête des personnages. On ne sait pas vraiment si une certaine chose a été dite, ou seulement pensée. Cela laisse passablement de liberté d’interprétation au spectateur.

 

 

Deux acteurs belges et deux acteurs suisses, c’est fait exprès?

Je suis belgo-suisse. Je suis vraiment entre les deux pays, même si j’ai fait mes études d’actrice à Bruxelles. J’avais déjà travaillé avec Philippe Jeusette sur un tournage où l’on jouait ensemble. Quant à Véronique Olmi, elle m’a vraiment coachée pendant l’écriture de la pièce. Au fil de ce travail avec elle, je lui ai tout naturellement proposé de jouer l’un des quatre personnages. J’avais beaucoup entendu parler d’Adrien Barazzone et de Piera Bellato. Nous nous sommes donc rencontrés, et le résultat a été super.

 

Vous êtes également chanteuse et musicienne: la musique tient-elle un rôle particulier dans votre pièce?

Complètement. Mon écriture est très musicale, avec un rythme précis. Je suis très sensible au rythme du corps et de la parole, et pointilleuse sur les temps. Pour moi, les quatre comédiens sont comme quatre instruments. Comme l’espace sur scène n’est pas grand, il faut que ce soit «tenu» et précis, tout en restant organique. Pour Jackson Bay, j’ai imposé aux acteurs beaucoup de contraintes rythmiques, et on a construit à l’intérieur de ces balises. C’est le même principe que pour un musicien qui s’approprie une partition. Même si c’est compliqué au départ pour l’acteur, cela permet ensuite d’avoir une grande liberté. C’est parfois dans la contrainte qu’on crée le plus de choses. La création musicale de la pièce est signée Jean-François Assy, avec qui je travaille régulièrement.

 

Etre à la fois auteur et metteuse en scène de Jackson Bay, est-ce un challenge ou un atout?

Pour moi c’est un atout. Même si je ne me place pas du tout comme auteur dans le travail de mise en scène, ça reste un avantage, car je sais exactement où je veux aller. Étant moi-même actrice, j’ai évidemment toujours en tête les corps qui donneront vie au texte, même dans la phase d’écriture. En écrivant ma pièce précédente, je m’étais dit que je mettrai en scène la prochaine, pour aller au bout du processus. C’est ce que je fais avec Jackson Bay.

 

L’écriture, est-ce une passion pour vous?

C’est en tout cas un besoin. Le moment où j’écris constitue une vraie bulle pour moi. C’est une activité que j’apprécie et qui me pose, même si elle me bouleverse aussi. Le monde s’arrête vraiment.

 

Quels sont vos futurs projets?

En mars prochain, je serai à Bruxelles pour créer un monologue que j’ai écrit et que je vais aussi interpréter. Ce monologue, qui s’intitule Je suis un poids-plume, sera probablement joué au début de la saison prochaine. L’histoire est celle d’une jeune femme qui se sépare de son partenaire, découvre la boxe, et parvient à renaître à travers le sport et l’épuisement du corps. La situation initiale est complètement autobiographique. J’avais la volonté de faire quelque chose de très pur, qui touche au corps et à la sensation dans ce qu’elle a de plus intime.

 

Propos recueillis par Marie Berset

 

Jackson Bay, une pièce écrite et mise en scène par Stéphanie Blanchoud à découvrir au Théâtre du Loup à Genève du 17 au 28 janvier 2017.

Renseignements et réservations au +41.22.301.31.00 ou sur le site www.theatreduloup.ch

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