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Gros-Câlin au Théâtre Le Poche

Publié le 18.12.2014

 

Acteur suisse donne un Gros-Câlin

 

Les yeux et les propos du comédien Jean-Quentin Châtelain emmènent dans les profondeurs. Difficile d’écouter à moitié cet homme né à Genève, ayant grandi en Haute-Savoie où il garde un pied à terre, et originaire du Jura. Des histoires, Jean-Quentin Châtelain en a beaucoup à raconter. Tranquillement attablé, à la terrasse du Café de l’Hôtel de Ville, à deux pas du Théâtre Le Poche, il livre d’abord la sienne, d’histoire. Il aime les Jurassiens « pour leur esprit libre ». Au moment où on le rencontre, Jean-Quentin Châtelain revient justement de deux jours à La Brévine, où il est allé se recueillir en souvenir de sa mère. Silence. Gary parlait aussi beaucoup de la sienne tout au long de son œuvre. Les deux hommes s’imbriquent d’emblée. Au Poche, Jean-Quentin Châtelain s’apprête à reprendre son monologue Gros-Câlin, mis en scène par Bérangère Bonvoisin.

 

A plus de 50 ans, le comédien vit à Paris et ne cesse d’explorer l’art de la scène. Dans les interviews, Jean-Quentin Châtelain compare souvent le jeu d’acteur à un saut dans le vide. Pour ça, il faut se mettre en condition avant de se lancer. « Avant d’entrer en scène, je me fatigue. Les jours où je joue, je me lève à 5 heures du matin, je marche beaucoup, je me sur-fatigue pour me mettre déjà dans un étant second. J’arrive ainsi à une sorte de lâcher-prise… Car, sur scène, il ne faut pas être mou, il faut de la présence. »

 

Conteur ou comédien ? Lui-même se dit souvent de la première catégorie, mais l’art de l’acteur est en lui, c’est certain. « J’aime avant tout raconter des histoires. Mais tous les monologues que j’ai interprétés ces dernières années sont à chaque fois des rencontres avec quelqu’un qui a vraiment existé, et auquel je m’identifie. J’aime me mettre dans la peau de quelqu’un d’autre. C’est bien le propre de l’acteur. »

 

Gary et la mue

Au Poche, c’est donc en Romain Gary que Jean-Quentin Châtelain va plonger. Avec Gros-Câlin, l’auteur de La vie devant soi signait en 1974 son premier ouvrage sous la plume d’Emile Ajar, son pseudonyme. Gros-Câlin raconte l’histoire de Monsieur Cousin, personnage qui travaille dans un bureau de statistiques et qui ramène un python d’Afrique, qu’il appelle Gros-Câlin. Mais l’atypique animal s’avérera autant un réconfort pour le protagoniste qu’une gêne pour son voisinage.

 

Cette histoire de mue (mue du serpent, mue du personnage et mue de l’auteur) retentit loin en Jean-Quentin Châtelain. « On est sans cesse en train de muer dans la vie. Quand on ne change plus, c’est qu’on est mort. C’est très intime comme question, car la mue est quelque chose d’interne, qui se révèle dans un deuxième temps et qui nous surprend, parfois. Je comprends Gary qui voulait devenir quelqu’un d’autre en changeant de nom. En tant que comédien, on se transforme dès qu’on enfile le costume. »

 

 

Une enfance atypique

Dès sa naissance, Jean-Quentin Châtelain débarquait dans un monde atypique. Le couple de Jurassiens que formaient ses parents vivait à bord d’un camion, sur les routes. Cette vie nomade dura huit ans au total. Le couple arpentait les galeries, et pratiquait l’art, la peinture pour le père et la sculpture pour la mère. « Ils étaient des hippies avant l’heure », raconte le comédien. « Mon père avait été avocat à Genève pendant dix ans, il avait acquis un appartement dont le loyer leur permettait de subvenir à leurs besoins. » Jusqu’à l’âge de 2 ans, le petit Jean-Quentin grandit dans ce camion, avec sa sœur aînée également, avant que la famille s’installe dans une maison.

 

Quand le jeune Jean-Quentin Châtelain tombe dans le théâtre par le biais de l’école, les parents se montrent donc ouverts. « Ils nous emmenaient parfois au théâtre », glisse-t-il. Ses premiers souvenirs, Jean-Louis Barrault ou Tadeusz Kantor, par exemple, lui forgent des références de taille. Georges Wod, ancien directeur du Théâtre de Carouge, l’encourage plus que vivement à poursuivre dans cette voie. Puis, conservatoire, haute école, et des expériences avec des metteurs en scène renommés.

 

Après Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész, ou Lettre au père de Kafka ou encore Bourlinguer de Blaise Cendrars, vu au Poche l’an passé, l’acteur aborde donc Gary. Ce texte, profond et poétique, est plein de calembours qui rendent la langue humoristique. « C’est nouveau pour moi. Je me rends compte que j’ai interprété des textes très durs jusqu’ici. J’aime la gravité, mais j’aime aussi le tragi-comique, le contraste. La vie est comme ça aussi. »

 

« Un gros câlin, ce n’est pas forcément sexuel, ça peut venir de sa maman ou d’un ami », conclut-il à propos de la pièce. C’est un besoin de chaleur dont on manque souvent… » Jean-Quentin Châtelain donne la sensation d’un gros câlin, un flux de pensée, de philosophie et de poésie, tout cela bouillonnant dans un seul homme. On espère ne pas l’avoir vidé. Mais il repart, chapeau vissé sur la tête, semble-t-il d’attaque pour la série de représentations à Genève.

 

Cécile Gavlak

 

Gros-câlin, jusqu’au 31 décembre 2014 au Théâtre Le Poche à Genève - www.lepoche.ch / +41 22 310 37 59

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