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Grisélidis Réal ressuscite à Genève

Publié le 17.11.2014

 

Les combats de Grisélidis Réal ressuscitent à Genève

 

A voir bientôt au Théâtre Le Poche à Genève, Les combats d’une reine est mis en scène par sa directrice Françoise Courvoisier. Cette adaptation réunit des textes issus de trois ouvrages de Grisélidis Réal, « Écrivaine, peintre et prostituée » comme le mentionne l’épitaphe sur sa tombe, au Cimetière des Rois, à Genève. Dans Les combats d’une reine, trois comédiennes interprètent chacune une période du parcours de Grisélidis Réal : à 35 ans, lors de son séjour en prison, en Allemagne, à 50 ans lorsqu’elle vivait de la prostitution et qu’elle défendait la cause des travailleurs du sexe du monde entier, et à la fin de sa vie pendant son combat contre le cancer. Sur scène, Françoise Courvoisier interprète elle-même une part du personnage, aux côtés de Judith Magre et d’Elodie Bordas. Entretien.

 

 

Françoise Courvoisier, quand avez-vous créé Les combats d’une reine ?

 

Le spectacle a été créé en 2010, au Théâtre des Halles, au Festival d’Avignon, et a ensuite été rejoué au Poche en mars 2011. Quand j’ai repris la direction du Théâtre Le Poche en 2003, j’avais ouvert la saison avec une mise en scène un peu chaude, qui avait marqué les esprits : Les sphinx du macadam, d’après des textes de Grisélidis Réal. Elle n'était pas encore sur son petit nuage, puisqu’elle est morte en 2005. Pour clore ma 12ème saison au Poche, cette année, je souhaitais donc boucler la boucle en quelque sorte, en reprenant Les combats d’une reine. Cette pièce rend hommage à la plume de Grisélidis, à la splendeur, à l’énergie, à la dimension philosophique de ses textes.

 

Vous avez bien connu Grisélidis Réal. Quelle a été votre première rencontre avec elle ?

 

Dans le journal, j’avais lu une lettre d’elle, adressée à l’écrivain Jean-Luc Hennig. J’avais du culot à cette époque. Je suis allée frapper à sa porte. Au début, elle ne voulait pas que j’adapte ses textes. Je me souviens très bien de ce qu’elle m’a dit : « Au théâtre, on est toujours déformées ». Son militantisme passait avant tout. Elle tenait à ce qu’on dise que la prostitution était un métier si on le faisait correctement. J’ai beaucoup discuté avec elle, je lui ai expliqué que je n’aurai pas un regard de pitié sur les prostituées, que je voulais vraiment raconter leur vie… Et en 1993, je fus la première à monter un de ses textes au Grütli.

 

Puis, vous êtes devenues amies… Avez-vous un souvenir marquant du franc-parler qui la caractérisait ?

 

Oui, je me souviens d’une anecdote. Un jour, je viens chez elle pour discuter, et, au bout d’un moment, elle me dit qu’un client va arriver dans dix minutes, et que, si je le veux, je peux me cacher derrière un paravent pour assister à la scène et voir comment elle fait. Je suis partie en courant. Je suis petite-fille de pasteur, et certaines choses restent ancrées… Mais sa proposition n’était pas du tout salace, c’était vraiment pour que je comprenne.

 

Dans Les combats d’une reine, vous êtes trois comédiennes à interpréter Grisélidis Réal.

 

Oui… Judith Magre, qui est une immense actrice, porte le personnage de Grisélidis lorsqu’elle est à l’approche de la mort. Judith parvient à n’être jamais triste. Elle est drôle, émouvante, révoltée, et les gens se marrent vraiment. C’est inouï. Un journaliste, à Paris, a écrit que c’était une rencontre entre un personnage et son interprète. C’est vraiment ça ! Elles se ressemblent. Quant à Elodie Bordas, qui ne faisait pas partie de la distribution lors de la création, elle joue la période de la prison. Et moi, je l’interprète quand elle fait le trottoir. Quand elle est jeune, Grisélidis a le regard encore tendre, à 50 ans elle commence à prendre du recul, et à la fin c’est une lionne. Cette pièce est un hommage à la maturité, quand elle est bien vécue. Que ce soit pour les marginaux ou pour les autres.

 

 

On imagine aisément que le travail de maquillage et de costumes a particulièrement été important. Est-ce que c’est le cas ?

 

C’est vrai. Nous sommes toutes les trois différentes. Pour ma part, il était très important de passer par le travestissement, c’est d’ailleurs ce que Grisélidis faisait quand elle se prostituait. Elle disait qu’elle se préparait « à affronter les taureaux de la soirée ». Elle se mettait des bijoux, elle se maquillait… J’ai besoin de faire comme elle pour me sentir crédible. Mais c’est vrai que nous avons toutes les trois passé du temps à choisir les costumes…

 

Vous jouez la Grisélidis qui fait le trottoir… Comment appréhendez-vous le fait d’interpréter une prostituée ?

 

J’essaie d’en parler comme si ce n’était pas extraordinaire. C’est ce que Grisélidis faisait aussi. Elle avait un ton technique. J’essaie de parler de manière simple, de normaliser. Ça ne sert à rien d’être inutilement vulgaire quand j’explique comment faire une fellation. Si je commence à être graveleuse, c’est foutu.

 

Cette simplicité peut justement rendre les choses choquantes ! Non ?

 

Etrangement, jamais un spectateur n’a quitté la salle, comme on pourrait s’y attendre. A mon avis, c’est parce que le texte est empreint d’intelligence, de poésie, de tendresse. Le public avale des couleuvres et c’est ce que Grisélidis provoquait aussi chez ses interlocuteurs.

 

Propos recueillis par Cécile Gavlak

 

Les combats d’une reine, à voir du 17 au 30 novembre, au Théâtre Le Poche à Genève - www.lepoche.ch

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