Amour de la Scène
Figure historique de la danse postmoderne newyorkaise affichant soixante années de créations, Lucinda Childs offre quatre courtes pièces sur des musiques de Bach, Glass et Guundattir. La troupe de Théâtre amateur associée au Théâtre présentera ll faut vivre!, une exploration des thèmes chers à Tchekhov, mêlant fiction et réalité. Stephan Eicher, lui, sera seul en scène pour partager ses chansons et récits dans une performance intime et personnelle.
La comédie politique et sociale, adaptée du film La Crise signé Coline Serreau et montée par Jean Liermier, rejoint avec une acuité rarement égalée les situations sociales et politiques de la France d’aujourd’hui.
Jean-Christophe Hembert offre une relecture moderne de Wendy et Peter Pan. L’Usage du monde revient avec Samuel Labarthe incarnant le voyage de Nicolas Bouvier.
Maryse Estier met en scène le vaudeville Le Dindon de Feydeau, promettant des rires. La saison se poursuit avec La Tempête ou la voix du vent d’Omar Porras, adaptation poétique de Shakespeare, et Art de Yasmina Reza, explorant l'amitié et l'art contemporain.
Vous avez dit Barbe bleue? de À l’Ouest Cie & Guillaume Pidancet, pièce itinérante et gratuite comme Les Diablogues en ouverture saisonnière, invite à réfléchir sur les mythes. Le directeur Jean Liermier met en lumière certains spectacles à l’affiche.
Lors de la présentation publique de la saison, vous avez lu un passage du Petit Prince de Saint-Exupéry autour notamment de la rose. Pourquoi ce choix?
Jean Liermier: C’est d’abord un écho à la construction du Nouveau TCAG avec le personnage du Renard, le premier habitant de ce nouveau bijou scénique. Au fil du temps, cette figure est devenue la mascotte, si ce n’est la métaphore de ce qu’est ce lieu. D’où cet extrait du chapitre 21 du Petit Prince.
Il me fait penser à la notion d’apprivoisement comme mise en confiance et tissage de liens.
Ces lignes ramènent aussi à l’idée de rituel faisant forcément écho au théâtre. Au cœur de notre monde chahuté, pourquoi ne pas se dire que l’on pourrait considérer le théâtre à l’image d’un phare, voire d’un lieu-refuge dédié à l’accueil? Ceci afin de passer des moments qui nous font simplement du bien.
Assurément. Face au papillonnement qu’imposent tant les réseaux sociaux que l’information en continu, il y a au théâtre des temps longs vécus en commun. Et non sur un mode proche du zapping. Il s’agit de créer des liens invisibles, mais infiniment puissants.
Qu’avez-vous retenu des Diablogues, un spectacle en itinérance que vous avez créé pour l’entame de la saison?En premier lieu, le parcours de son auteur, Roland Dubillard (1923-2011). L’homme de théâtre français a connu un grand drame dans sa vie*. Il s’est alors réfugié dans l’alcool et la croyance tant de la scène que du plateau. D’où cette manière de mettre en scène des personnages et d’écrire pour la fiction surréaliste et burlesque qui est préférée au quotidien.
Je ne peux m’empêcher de mettre en miroir cette écriture avec l’En attendant Godot de Samuel Beckett et ses personnages emblématiques de Vladimir et Estragon. Désignés sous les chiffres 1 et 2, les protagonistes imaginés par Dubillard en deviennent les préfigurations du tandem beckettien de Godot.
Ensemble, ils sont animés du désir d’en découdre. Et la pensée commune de se construire épisodiquement dans le conflit, le débat ou la dispute.
La pièce s’inscrit dans une trilogie comprenant Phèdre! (théâtre), Giselle... (danse) et la lecture de Carmen (opéra) par le comédien et metteur en scène suisse François Gremaud qui les a écrites et montées. Il y eut ainsi le succès public la saison dernière de Phèdre! avec Romain Daroles jouée plus de deux mois devant une salle comble.Interprété sur notre plateau par Samantha van Wissen en septembre 2023 dans le cadre de La Bâtie-Festival de Genève,
Giselle... fut une belle découverte.
L’opus se situe à la croisée de deux pratiques dans le parcours de Francois Gremaud. Extrêmement engagée physiquement, Samantha van Wissen s’y présente à la fois comme danseuse et narratrice**. Ces allers et retours fluides entre les épisodes, où elle danse et passe la parole, commente et raconte sont malicieux et foisonnants d’inventivité.
À mes yeux, elle réalise, avec une grâce infinie et une immense générosité, les glissements d’un domaine artistique à l’autre, à savoir la danse et la narration commentée. Au sortir de ce spectacle unique qui sera représenté à 50 reprises sur une longue période, une seule envie vous travaille. Celle de découvrir des ballets sous un œil nouveau.
L’auteur russe redevient ce qui il était à l’origine, un théâtre-laboratoire. Notre troupe amateure composée de personnes issues de la société civile ainsi que d’univers et d’âges contrastés est placée sous la direction artistique avisée d’un trio formé de Nathalie Cuenet, Valérie Poirier et François Xavier Fernandez-Cavada.
Au fil de deux ans, s’est réalisé tout un travail laboratoire et de recherches sur Tchekhov. Que ce soit à travers ses pièces ou ses nouvelles extraordinaires. Le processus créatif compte aussi des improvisations écrites par Valérie Poirier.
Découvrant les interprètes alignés dans la salle, m’est revenue la référence au dernier film de Louis Malle, Vanya, 42e rue*** voyant le réalisateur travailler à la table et annoncer une pause aux interprètes. En enlevant les poncifs, il s’agit de revenir au cœur de l’œuvre de celui qui fut médecin sillonnant la campagne pour être auprès de ses patient.es.
Pour mémoire, Coline Serreau et son fils Samuel ont réalisé l’adaptation au théâtre du scénario, qui préserve tous les dialogues du film. Selon Gilles Privat**** qui jouait l’un des rôles du long métrage, la réaction du public de l’époque se cristallisaient sur la dimension écrite de La Crise faisant parfois théâtre filmé.
Partant, c’est l’un des ingrédients qui m’a fait me pencher sur cette œuvre animée d’un rire intelligent.
À en croire Benno Besson, Coline Serreau est une forme d’Aristophane ***** de notre temps. Avec une acuité, une pertinence et un regard parfois sévère sur le monde et ses travers. Elle aborde ainsi des sujets d’éminente actualité, entre le chômage, les rapports de couple, la sexualité, le trop-plein de médicaments, le racisme...
Ce qui marque? La faculté de provoquer le rire intelligent tant par les dialogues que la construction des situations. Il s’agit ici de voir comment le rapport au plateau, à l’immédiateté de la présence du public peut contribuer à découvrir autrement cette œuvre.
C’est une œuvre culte de James Matthew Barrie (1860-1937) avec laquelle j’ai effectivement fricoté par le passé l’ayant mise en scène au Théâtre Am Stram Gram (2000). En préparation pour la deuxième suite cinéma du feuilleton culte Kameloot, Jean Christophe Humbert qui monte Wendy et Peter Pan, fut l’assistant du metteur en scène français historique Roger Planchon (1931-2009).
Installé à Lyon et féru de théâtre, son compagnonnage avec ce grand maitre de la mise en scène et du théâtre français et d’une relation féconde au théâtre populaire me touche.
Il s’agit sans doute d’une lecture nostalgique du roman de Barrie à travers cette part d’enfance toujours présente en nous et qu’il s’agit de me pas enfouir.
À mes yeux, Peter Pan était la figure du anti-héros par excellence. Je ne voyais pas l’intérêt de ne pas vieillir alors que précisément, l’intérêt de la vie me semble réside dans la réalité de vieillir. Et que l’existence même s’arrête un jour.
Mais encore…
Cette œuvre fait partie des mythes du XXe siècle. Il faut rappeler que James Matthew Barrie fut le contemporain de Lewis Carroll, à savoir des écrivains investis dans la part d’inconscient et de quasi-psychanalytique de leurs fables.
Le Mythe de Peter Pan est basé sur une blessure propre à son auteur, la perte de son frère. Dès lors, il fut une enfant de remplacement pour sa mère. Et pour son plus grand plaisir, vu que son choix fut volontaire.
Il y a ici quelque chose d’une humanité figée dans le souvenir. L’omniprésence de la mort dans ce que son auteur a d’abord conçu comme une pièce (1904) avant de devenir un roman (1911) infiniment complexe, et dont s’inspire Jean Christophe Humbert. De fait, l’on est fort éloigné de la vision d’un Walt Disney.
Théâtre de Carouge
Saison 24-25
Prochains spectacles:
Four New Works, de Lucinda Childs, du 28 au 31 août, dans le cadre de La Bâtie
Giselle.., de François Gremaud avec Samantha Van Wissen. Du 17 septembre au 21 décembre
Il Faut Vivre, d'après Tchéckhov, par la Troupe amateur du Théâtre de Carouge
Les Fausses Confidences, de Marivaux, mis en scène par Alain Françon du 24 septembre au 19 octobre,
Informations, renseignements:
https://theatredecarouge.ch
* En 1987, Roland Dubillard devient hémiplégique dans le sillage d’un accident vasculaire cérébral, ndr.
** Samantha Van Wissen est connue pour son travail avec la compagnie Rosas, dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker. Avec Rosas, elle participe à de nombreuses créations marquantes qui ont redéfini les contours de la danse contemporaine. Parmi ses performances les plus notables, l’on compte Rosas dans Rosas, Drumming et Rain. Ces pièces ont révélé sa maîtrise technique et sa capacité à transmettre des émotions profondes et complexes à travers le mouvement. En 2023, elle est sacrée Meilleure interprète de l’année pour Giselle... par le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse (Paris), ndr.
*** Dépassant le stade d’un documentaire sur les répétitions d’Oncle Vania de Tchekhov par une compagnie new yorkaise, 42e rue est une formidable fiction sur le processus créatif d’une pièce passé par un casting de rêve - Susan Sarandon et Julian Moore dans l’un de leurs premiers rôles, ndr.
**** Comédien franco-suisse né à Genève en 1958, Gilles Privat a joué au Théâtre de Carouge à plusieurs reprises, notamment pour les pièces Presque Hamlet, Le Malade Imaginaireet et En attendant Godot. En 2023, il reçoit le prix du Meilleur comédien décerné par le Syndicat français de la critique pour son rôle de Vladimir dans En attendant Godot mis en scène par Alain Françon, ndr.
***** Dramaturge renommé de la Grèce antique, Aristophane convoque la comédie pour critiquer la société, la politique et les personnalités de son temps. Ses pièces, emplies d'humour et de satire mordante, questionnent des thèmes contemporains tout en révélant les faiblesses humaines, ndr.