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Am Stram Gram voit grand

Publié le 26.06.2015



Fabrice Melquiot est un directeur poète et baroudeur. L’année prochaine, il mettra le cap sur la Roumanie avec Les Enfants du monde. Une nouveauté parmi les Laboratoires spontanés qui ponctuent la nouvelle saison d’Am Stram Gram, théâtre genevois dédié à l’enfance et la jeunesse. Dès la rentrée, on partira sur les traces du Baron de Münchhausen. D’autres créations décrypteront la théorie du genre ou tenteront de percer le mystère Godard, revu et corrigé par le maître des lieux. Dans ce théâtre vivant et joyeux, qu’on ait 7 ou 77 ans, on se pose plein de questions auxquelles la scène répond. Les 15-25 ans y auront aussi leur festival. Entretien.

 

 

Vous voilà à la tête d’Am Stram Gram depuis trois ans. Vous y avez mis en place des Laboratoires spontanés, formes expérimentales qui se renouvellent perpétuellement. De nouvelles déclinaisons de la formule cette année ?

Les Enfants du monde est un dispositif totalement inédit. Ce sera une sorte de témoignage d’un voyage sous la forme d’un texte performé. Nous ramènerons des images et des documents sonores enregistrés sur place auprès d’enfants en Roumanie. Nous allons aussi travailler avec des associations d’ici en lien avec le pays. On arrive à la constitution de matériaux qui pourraient aboutir à un spectacle si l’on avait davantage de temps devant nous. Mais là, le but est de créer dans l’urgence.

 

S’il ne s’agit pas de spectacles, en quoi ces dispositifs consistent-ils précisément ?

Le spectateur n’est pas que spectateur, il est aussi citoyen. Il vient avec son histoire au théâtre et peut témoigner quand il veut. Jusqu’où peut-on en faire un membre à part entière de l’assemblée théâtrale ? C’est l’une des questions que l’on se pose. Toutes les formes des Laboratoires spontanés sont participatives. Nous en proposons neuf, outre les onze spectacles de la saison. En étant spectateur, on est aussi acteur. Dans la Party littéraire par exemple, quelqu’un peut se mettre à danser et participer de cette manière.

 

Finalement, un Laboratoire spontané, c’est surtout une expérience dans laquelle on a un peu envie de se jeter à l’eau…

Le Laboratoire spontané essaie d’accorder sa confiance à la curiosité du spectateur qui ne sait pas très bien ce qu’il va voir. Après une première saison, nous avons constaté que ces laboratoires recueillaient la préférence de nos abonnés. Ils ont envie d’expérimenter quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas non plus. Ils se lancent sur un titre, une ligne de définition.

 

 

Premier spectacle de la rentrée, Münchhausen est une adaptation des célèbres aventures du Baron. Ce n’est pas la première fois que vous adaptez un monument de la littérature. Pourquoi privilégier cette forme ?

Je me suis intéressé pour la première fois à l’adaptation au moment où j’ai pris la direction d’Am Stram Gram, sans pour autant me dire que j’entamais un cycle. Le désir de travailler sur Frankenstein de Mary Shelley m’a vraiment porté. J’avais envie d’arriver à Genève par un livre, et avec un livre, en plaçant la figure de l’écrivain au centre d’une fiction. Je souhaitais que l’écriture elle-même soit un sujet des pièces que nous proposons.

 

Après Frankenstein, il y a eu Moby Dick et aujourd’hui Münchhausen ?

Moby Dick était une commande du metteur en scène Matthieu Cruciani. Il m’en avait donné sa lecture, qui me semblait particulièrement pertinente. Je rêvais d’adapter le roman de Melville. Pour Münchhausen, ça s’est passé de la même manière. Joan Mompart avait mis en scène La Reine des Neiges à Am Stram Gram avant mon arrivée. Il y a créé Ventrosoleil l’an dernier. Lorsque je lui ai proposé de monter une pièce accessible aux jeunes cette saison, il m’a suggéré Les Aventures du Baron. Ça s’est fait aussi simplement que ça.

 

Pour l’auteur que vous êtes, quel sens donner à l’adaptation aujourd’hui ?

Je n’utilise pas tellement le terme "adaptation". L’expression "rêverie autour" empruntée à Pauline Sales me semble beaucoup plus juste. Dans Münchhausen, par exemple, on retrouve seulement quelques-unes des aventures du Baron. L’idée est qu’on ait envie de se plonger dans l’œuvre en sortant d’Am Stram Gram. L’adaptation est un pont entre le répertoire classique et les auteurs d’aujourd’hui. A travers ces "rêveries autour", j’aimerais qu’on puisse ne plus opposer écriture classique et contemporaine. En tant qu’auteur vivant, mon écriture commence d’abord par ma bibliothèque. L’adaptation est aussi pour moi une manière de transmettre.

 

Le cinéma traversera aussi votre programmation 2015-2016.

Avec Jean-Luc, qui sera mis en scène par Mariama Sylla, j’aimerais composer une forme la plus proche possible de ce que Godard s’autorise dans Adieu au langage. Une sorte de rapsodie syncopée hallucinante de liberté… C’est très ambitieux ! Ce serait bien si l’on arrivait à être aussi complexe que cela… même si l’on s’adresse prioritairement à des spectateurs entre 15 et 25 ans, dans le cadre du Festival Ctrl J. J’ai pour l’instant quelques idées toutes simples, comme avec la scène mythique du Mépris entre Bardot et Piccoli. Et si c’était le garçon qui disait soudainement « tu les aimes mes fesses ? » L’originalité du projet tient également à la présence sur le plateau des dix jeunes ayant travaillé en atelier avec Mariama Sylla. Ils constitueront aussi la matière même de la pièce.

 

Les femmes ont une grande place dans votre saison, aussi bien à l’écriture qu’à la mise en scène ou au jeu. Est-ce le fruit du hasard ?

J’aime collaborer avec des femmes, mais il n’y a pas une volonté de discrimination positive de ma part. Beaucoup de projets "enfance et jeunesse" sont portés par des femmes. Aucun homme ne s’est intéressé par exemple à la théorie du genre en Suisse romande. Elles sont pourtant trois à plancher en ce moment sur le thème, dont Sandra Korol et Muriel Imbach, qui présentera Bleu pour les oranges, rose pour les éléphants en février. Le spectacle associe enfants romands et suédois autour de questions philosophiques.

 

 

Après trois années à la tête d’Am Stram Gram, comment regardez-vous ce théâtre ?

Comme un théâtre en mutation. En tant que centre international de création et de ressources pour l’enfance et la jeunesse, nous continuons ardemment d’ouvrir l’identité du lieu. Am Stram Gram est un espace intergénérationnel, qui a toujours été destiné aussi aux adultes. C’est cela qui m’a donné envie de venir y travailler.

 

Les jeunes adultes y trouveront particulièrement leur compte cette nouvelle saison.

Nous mettons pour la première fois sur pied un festival dédié aux 15-25 ans, en association avec le Théâtre de Carouge et le Poche. Cette génération appréhende l’âge de l’action. Qu’est-ce que les arts vivants peuvent lui apporter ? Une autre dimension à vivre, à éprouver, à comprendre. Si l’on propose aux jeunes de prendre les clés du théâtre, est-ce qu’ils s’en empareront ? C’est une vraie question…

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison du Théâtre Am Stram Gram sur leprogramme.ch ou sur le site du théâtre www.amstramgram.ch

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