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A Saint-Gervais, silence de l’homme moderne

Publié le 27.11.2014

 

« Le rien, ça n’existe pas »

 

Joël Maillard est un chercheur de rien. Le metteur en scène de 36 ans, issu du Conservatoire de Lausanne, poursuit son exploration. Rien voir et Ne plus rien dire, en 2012, ont ouvert la voie à un cycle dont font partie Rien à faire (2013) et Rien écrire, en cours de travail. Pas grand-chose plutôt que rien sera également présentée à l’Arsenic et au Grütli, en avril-mai 2015. Au Théâtre Saint-Gervais, il reprend, avec la comédienne Joëlle Fontannaz au devant de la scène, Ne plus rien dire. De scène, il n’y en aura pas vraiment puisque le public prendra place sur des chaises disposées en cercle.  Expérience insolite aux côtés d’une femme qui ne parle que d’un homme qui, lui, ne parle pas.

 

 

Joël Maillard, que raconte cette pièce au titre énigmatique, Ne plus rien dire ?

 

Dans Ne plus rien dire, le public est convié à une assemblée, un cercle de parole où chacun est là pour présenter ses projets artistiques non réalisés ou abandonnés. Le spectateur est inclus dans ce cercle. Puis, une des personnes, la comédienne, prend la parole. Elle présente tout d’abord des projets inachevés, puis elle part dans des digressions. Elle ne dit rien d’elle-même, mais évoque quelqu’un qui, a priori, n’est pas très adapté à la société. On comprend que cet homme s’est mis à l’écart, qu’il est l’auteur de scandales dans l’espace public, d’actions post-situationnistes... Il veut dégrader, se soustraire au réel, c’est pour ça qu’il décide – ou peut-être que ça lui tombe dessus – de se taire. La comédienne raconte donc le parcours de cette personne qui a abandonné la parole pour poursuivre une sorte de quête intérieure.

 

Et les spectateurs sont un peu des personnages, dites-vous, car ils font partie du cercle. Comment se sont donc déroulées les répétitions, sans le public ?

 

Finalement, les répétitions se sont déroulées comme pour n’importe quel spectacle… Car, dans Ne plus rien dire, le public n’est pas invité à intervenir, même si on ne l’en empêche pas. C’est sûr que la comédienne s’adresse directement aux spectateurs. Durant les répétitions, il y en avait un seul : moi. Certains passages du texte ne sont pas écrits, Joëlle Fontannaz les invente à chaque représentation. Cette écriture orale est là pour accroître le réalisme de la situation. Dans la configuration du cercle de parole, la comédienne est avec les spectateurs. Son exposition aux réactions, à la réception du public, est décuplée comparé au rapport scène-salle habituel. Elle n’a aucun moyen de se retrancher derrière la mise en scène. Même si le spectateur ne conscientise pas cela, il le perçoit. Tout le monde est dans un territoire commun, et ça change les choses pour les deux camps.

 

 

Vous qualifiez ce cercle de parole d’« amicale des artistes sans œuvres ». Pensez-vous que nous sommes tous des artistes, avec ou sans œuvres ?

 

Oui, d’une certaine façon. Quand on rêve, on est des scénaristes très étonnants. Aucun artiste, scénariste, photographe ne peut nous arriver à la cheville. Nous avons tous un imaginaire inconscient, la faculté de transposer la réalité.

 

Dans Ne plus rien dire, le rapport au lieu de la représentation est important. A Saint-Gervais, vous allez jouer au septième étage du théâtre ! Pourquoi cet endroit ?

 

Le théâtre m’a proposé de jouer dans cette salle et j’ai accepté, car nous pouvons la transformer en salle de réunion, une sorte de salle polyvalente, sans gradins. Pour cette pièce, c’est très important de réfléchir à ce qu’on laisse traîner autour du cercle de parole, à ce qu’on ajoute… Le spectateur ne doit pas se sentir dans un décor en tant que tel. A l’ancien cinéma Eldorado, à Lausanne, où la pièce a été créée en 2012, le lieu avait pris de l’importance car on parlait d’un personnage qui s’était tu dans un lieu qui s’était tu, ce cinéma fermé. Puis, on a joué dans des théâtres, et on s’est rendu compte que la pièce est différente dans chaque endroit.

 

Cette pièce fait donc partie d’un cycle. Comment vous est venue cette idée de travailler sur le thème du rien ?

 

L’idée est venue avec la première pièce, Rien voir, en 2012. Je me suis dit qu’il y avait un « créneau » avec ce rien (ndlr : il sourit, ironique). Le rien, c’est l’absence, ça limite les possibilités. Nous avons un projet collectif qui s’intitule Rien écrire, pour lequel nous n’avons le droit de prendre aucune note, de ne faire aucun dessin… Nous pouvons juste en parler.

 

Quelle définition donneriez-vous du rien ?

 

Ça n’existe pas.

 

Cécile Gavlak

 

Ne plus rien dire, du 2 au 13 décembre, au Théâtre Saint-Gervais, Genève - www.saintgervais.ch

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