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A la poursuite d'un Graal poétique et absurde

Publié le 16.02.2023

Avec Quête les chevaliers de la Tables ronde s’invitent au Théâtre du Loup, du 25 février au 5 mars. Trouver le Graal, telle est la mission que se sont donnée les protagonistes de Quête. Mais Galaaad, le chevalier qui est censé trouver l’objet magique, est absent. Artus, Guenevevièvre, Lancelote, Merlijn, Vivianeu et le Palefrenier vont devoir tenter leur chance sans lui.

Leur quête se transforme rapidement en un récit absurde et poétique qui reflète malicieusement la fragilité et la beauté de notre condition humaine. Elle devient alors un prétexte pour dire nos doutes, exprimer nos peurs et rendre hommage à notre capacité héroïque à avancer malgré tout.
 Rencontre avec Juliette Vernerey, qui a conçu et qui met en scène le spectacle

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Votre spectacle s’intéresse à l’univers merveilleux des Chevaliers de la Table Ronde, et notamment à la version du roman L’Enchanteur, de René Barjavel. Une citation: «On ne croyait pas uniquement à ce qui était raisonnable. La raison rétrécit la vie, comme l’eau rétrécit la laine, si bien qu’on s’y sent coincé et on ne peut plus lever les bras».

Juliette Vernerey : Oui, elle est très belle – et elle est aussi notée partout dans mes carnets. J’en ai conservée une autre dans laquelle il écrit : «Eux ne se disaient pas que ce qu'ils voyaient était impossible: c'était possible puisqu'ils le voyaient...». Dans Quête, nous travaillons avec très peu de décors, ce sont les comédiennes et comédiens qui créent le récit auquel ils croient fermement. À partir de là tout devient possible.



Volonté de créer du réel avec peu de moyens.

La plupart des participant·e·s à ce spectacle se sont rencontré·e·s à Bruxelles, à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS), une école nationale, magnifique, mais par contre ridiculement pauvre en matériel et en locaux. Nous avons ainsi été formé·e·s à travailler avec peu, ce qui nourrit la créativité. Cela convient aussi à notre volonté de créer des spectacles transportables, qui puissent tourner facilement.

Ou dit autrement, nous privilégions les salaires de l’équipe plutôt que le matériel... Ce qui n’empêche pas d’avoir de sacrés éclairages, des accessoires soignés et un magnifique travail sur le son!

Et un dragon!

En quelque sorte.

Vous travaillez sur la capacité d’émerveillement.

Entendons-nous: nous sommes très sensibilisé·e·s par ce qui se passe aujourd’hui – le monde part en sucette. Par rapport à cela, nous prenons le parti d’un détour qui nous amène à nous intéresser à l’intelligence du cœur. Nous essayons de voir autrement ce qui peut sembler banal, et donc de susciter l’émerveillement.

Ce qui nous met en situation de pouvoir rire encore de la condition humaine: je suis fascinée par notre force, nous ne lâchons rien alors que tout est presque perdu (rires!)

En creux, le spectacle traiterait donc de pollution, de guerre et d’inégalités?

Mmh... Nous avons beaucoup parlé entre nous de la violence, de la virilité et d’autres thèmes actuels. Mais nous n’avons pas un style frontal: l’objectif est de toucher ces thèmes mais en restant dans la finesse. Le Moyen Âge, c’est une autre culture, qui nous laisse une certaine liberté. Le public va découvrir des personnages qui sont un peu comme des enfants, mais avec toute la cruauté que cela peut aussi impliquer.





Quels épisodes de la Table Ronde développez-vous?

Dans La Quête du Graal, traduite par Albert Béguin et Yves Bonnefoy , Galaad trouve le Graal – ce qui n’est pas le cas dans toutes les versions que j’ai lues – et cela nous a amusé·e·s de lire que les autres personnages doivent attendre trois chapitres avant que Galaad n’arrive pour pouvoir enfin commencer la Quête du Graal!

À partir de là, nous nous sommes demandé·e·s comment le groupe se débrouillerait si Galaad n’arrivait jamais. Qui serait le chef? Et si nous faisions sans chef, comment avancer ? Je ne vous cache pas que cela part davantage en poésie qu’en recherche du Graal.

Votre Merlin s’appelle Merlijn, et les autres noms varient aussi de ceux que l’on connaît généralement. Est-ce que ce sont les cousins ou les petites sœurs?

Non, ce sont les noms parfois flamands ou juste remodelés des vrais personnages, qui induisent le léger décalage que nous cherchons dans notre travail.

Vous privilégiez un humour innocent. Est-ce facile à imposer à une époque où nous sommes beaucoup soumis·es à l’ironie?

Bonne question. Je ne parlerais pas d’humour «innocent». L’humour n’est jamais innocent. Nous prenons de la distance. Nous rions de nous-même ou de notre sort. Nous nous sommes interdit d’aller vers l’ironie ou le cynisme.

Je voulais trouver un autre chemin, moins évident, que celui de l’ironie, pour parler des différents thèmes abordés dans Quête. Comme si les personnages, eux, n’avaient pas été conditionnés comme nous le sommes aujourd’hui. Nous cherchons le 1er degré. Encore une fois, comme des enfants qui jouent à un jeu très sérieux. Chacun·e a une place très précise dans le groupe, le groupe fonctionne comme ça.

À partir de là, Lancelote qui tue un dragon n’est pas forcément plus fort que la Reine Guenevevièvre qui parle le vieux français, gère le château et assume son amour... Tout le monde a sa place.

Cet état d’innocence qui semble caractériser vos personnages vient-elle du roman de René Barjavel?

Absolument. Cela vient aussi de l’humour belge qui véhicule beaucoup d’autodérision, et dans lequel on retrouve aussi cette capacité de faire vivre autrement ce qui est devenu banal. J’aime l’idée de ramener cela en Suisse – ce que François Gremaud a largement fait avant nous. Il m’a beaucoup inspirée et j’en ai beaucoup parlé avec lui.

Comme dans le film Perceval le Gallois de Rohmer, nous assumons le kitsch des décors, et nous recréons des tableaux symboliques.





Le récit original est truffé de rêves et de symboles. Est-ce que vous reprenez ces allégories, est-ce que vous les explicitez?

Bien sûr, nous avons travaillé sur la symbolique évidente de l’œuvre, à notre manière. L’esthétique, les tableaux vivants, la poésie, le dragon, les maléfices et autres sortilèges, tout nous ramène au rêve et à la force symbolique du récit de la Quête du Graal. Nous nous sommes demandés comment – aujourd’hui, dans l’état actuel du monde – parler d’amour, de joie, de beauté et d’émerveillement. Nous laissons ensuite le public se faire sa propre idée de la «Quête».

Comment s’est construit le spectacle?

Nous avons d’abord beaucoup parlé entre nous des différents thèmes que nous inspiraient le récit de la Quête du Graal. Lionel Aebischer et moi avons ensuite commencé à écrire des dialogues qui nous amusaient et des didascalies propres à favoriser l’improvisation. Puis les comédien·ne·s s’emparent de cette matière. Nous filmons les improvisations et les visionnons ensuite avec Lionel afin de retranscrire les dialogues qui nous plaisent. Nous retravaillons la structure du texte à deux puis on relance une session avec les comédien·n·es. Tout se complexifie ou se simplifie ainsi au fil des étapes de travail.

Comme dans le spectacle, l’organisation au sein de notre équipe est très égalitaire. Nous sommes très à l’écoute des un·e·s et des autres. Nous travaillons tous·tes dans la même direction, dans la recherche et l’émerveillement. Heureuse convergence.

Cela demande tout de même davantage que des atomes crochus.

Oui, nous nous connaissons pour la plupart depuis l’INSAS, et on peut y trouver des racines de ce spectacle dans une carte blanche autour – justement – de l’idiotie (au sens premier du terme), à laquelle avaient participé (presque) les mêmes acteur·ice·s. Nous pouvons donc dire que nous avons commencé à travailler sur ce langage commun qui caractérise Quête en 2016.

Je dirais que je travaille avec ces acteur·ice·s davantage parce que nous avons développé un vocabulaire d’expression commun que parce que nous avons étudié dans la même école. De plus, iels sont très exigent·e·s et extraordinairement créatif·ve·s.

Peut-on parler de théâtre expérimental?

La construction est plutôt classique, et l’action très facile à comprendre. Je cherche à développer un théâtre décomplexé. Cela fonctionne très bien avec les jeunes qui nous découvrent dans des représentations scolaires: iels se reconnaissent dans leurs personnages préférés, retrouvent les adresses électroniques des comédien·ne·s je ne sais comment et leur écrivent parfois pour les féliciter. C’est notre côté Culture Netflix!

Y aura-t-il une Saison 2?

Nous plaisantons entre nous sur le titre du prochain spectacle qui pourrait s’appeler Requête!!!

Propos recueillis par Vincent Borcard





Quête

Du 25 février au 5 mars au Théâtre du Loup, Genève



Librement inspiré de L’Enchanteur de René Barjavel et de La Quête du Graal, traduit par Albert Béguin et Yves Bonnefoy



Juliette Vernerey, conception et mise en scène
Lionel Aebischer, dramaturgie et compositions musicales
Sandro De Feo, assistant à la mise en scène

Avec Jeanne Dailler, Pierre Gervais, Samuel Padolus, Patric Reves, Juliette Tracewski et Juliette Vernerey



Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/quete/

Autres représentations:
Le 9 mars au Nebia, Bienne

Du 16 au 18 juin au Théâtre des Osses, Fribourg