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20 ans, l’âge des possibles

Publié le 11.06.2015

 

« Cet équilibre entre ‘à nous-mêmes’ et ‘au monde’ est magnifique au théâtre »

 

Le Théâtre Forum Meyrin a 20 ans. L’âge des possibles, qui fait de l’institution meyrinoise un pôle du spectacle vivant plus que jamais tourné vers les esthétiques contemporaines. Tour d’horizon avec sa directrice Anne Brüschweiler, qui nous livre avec ferveur ses coups de cœur pour la saison 2015 - 2016.

 

 

Votre nouvelle saison, particulièrement étoffée et éclectique, mise davantage sur les esthétiques contemporaines que les précédentes. Comptez-vous ainsi renouveler le public du théâtre, qui fête ses 20 ans cette année ?

La question du renouvellement du public est un sacré défi. Nous ne sommes pas les seuls à Meyrin à y être confrontés. Aujourd’hui, vu l’organisation sociale générale, ce sont les retraités qui ont la disponibilité et l’aisance financière pour aller au théâtre. Des groupes d’amis, entre 45 et 60 ans, aiment aussi s’y retrouver. Nous accueillons également les élèves des écoles en représentations scolaires. En revanche, il est plus difficile de faire venir ceux des cycles d’orientation et des collèges. Les études sur les pratiques culturelles des jeunes montrent qu’ils n’ont pas vraiment envie d’aller là où vont leurs parents !

 

Ce qui ne vous dissuade pas pour autant de multiplier les propositions artistiques destinées aux familles.

Non, car de plus en plus de spectacles peuvent être vraiment appréciés par les adultes et à des niveaux différents par les jeunes ou les enfants, et parfois même par la toute petite enfance. Ce sont ceux qui portent le label « famille » dans notre saison. Joseph_kids d’Alessandro Sciarroni ou la pièce du Geneva Camerata sur les chanteurs d’oiseaux émerveillent tout le monde. Là où l’on s’adresse à un public d’adolescents et de jeunes adultes de 15-30 ans, c’est par exemple avec Bigre, un spectacle complètement étonnant. Une forme très originale sans paroles et déjantée entre Tati et Les Deschiens. Les Chiens de Navarre, subversifs et provocants, qu’on pourra découvrir lors d’un mini-festival d’une semaine qui leur est consacré, débusquent des choses importantes, vraies, et ce rire qu’ils provoquent est salutaire. Cela rejoint Novarina lorsqu’il dit : « on va au théâtre pour voir comment l’homme singe l’homme. » Pour voir l’homme que l’on veut être ou pas. Plus classique, Oh Boy! s’appuie sur un récit extrêmement émouvant. J’en ai moi-même pleuré.

 

 

D’où est précisément née l’émotion dans ce spectacle ?

Oh Boy! raconte l’histoire d’un jeune adulte homosexuel qui, à la mort de son père, découvre qu’il va devenir le tuteur de ses demi-frères et sœurs. Lui-même est une sorte de Peter Pan, et ça l’ennuie. Mais au fond, il s’attache. La pièce questionne le lien, la famille élargie, l’acceptation de soi et comment la vie peut prendre un cours différent. C’est là où l’on rejoint de nouveau Novarina, qui dit qu’on va au théâtre pour voir comment l’homme fait l’homme, comment l’homme se représente l’homme. Autant de territoires, de formes et de propos divers qui vont toucher la sensibilité du public de différentes façons. C’est cela qui est intéressant, explorer la manière dont on peut être touché. Emotionnellement, comme avec le metteur en scène Emmanuel Meirieu, mais pas seulement.

 

Emmanuel Meirieu, qui présente une adaptation du roman Birdy cette saison, souligne ô combien l’expérience théâtrale fait sens aujourd’hui à l’ère d’Internet et du portable. « Sortez de vos écrans » est son maître mot.

Rien ne remplace la représentation, le fait d’être ensemble. Sans le théâtre, on manque d’une expérience avec les autres. Car nos expériences sont en quelque sorte atomisées. Chacun vit son truc avec un casque sur les oreilles et une tablette entre les mains. C’est bien en un sens, mais comme le disait très justement Denis de Rougemont, la culture est indispensable parce qu’elle nous permet d’être présent à nous-mêmes et au monde simultanément. Cet équilibre entre « à nous-mêmes » et « au monde » est magnifique au théâtre. Parce qu’on est assis les uns à côté des autres et qu’on reçoit chacun à notre manière le spectacle qui nous est donné. Il nous met en lien avec le monde. Et l’on fait une expérience de réception commune, que chacun intègre à sa manière dans sa propre expérience en en discutant après ou pas.

 

Vous faites revenir Gilles Jobin sur le sol meyrinois cette année, non plus dans les entrailles du Cern mais sur le plateau du Théâtre Forum Meyrin. Une manière de créer du lien entre théâtre et cité ?

Miser sur la culture comme un lieu d’expérience commune est fondamental. C’est ce que fait la commune de Meyrin, où la culture est une tête de pont du vivre ensemble. Avec Quantum, c’était la première fois qu’un spectacle de danse se jouait au Cern. La pièce m’a impressionnée dans ce décor grandiose. Je me réjouis de voir comment elle a évolué après une tournée en salle au Mexique, au Chili, etc… Ce qui m’intéresse aussi, c’est de proposer ce spectacle dans le cadre de la Fête du théâtre. Nous sommes un lieu de diffusion de tous les arts vivants. Finalement ces catégories danse, théâtre, cirque-danse, danse-théâtre, servent à orienter le public, mais en réalité tous ces arts empruntent les uns aux autres. Pourquoi est-ce qu’on favoriserait les yeux plutôt que les oreilles ? Pour moi la danse fait intégralement partie de la vie du théâtre.

 

 

La danse n’est-elle pas aussi de plus en plus présente dans les théâtres aux côtés d’autres disciplines artistiques ?

Le rapprochement entre la danse et le cirque est particulièrement palpable. Les compagnies de cirque nous demandent souvent de les répertorier en tant que spectacles de danse, ou de théâtre. A l’instar de Dromesko, l’une des compagnies qui ont rénové le cirque il y a vingt ou trente ans en France. On est vraiment aujourd’hui dans quelque chose d’hybride. Chaque spectacle génère sa forme et son appellation. Prenez les frères Thabet par exemple, avec Nous sommes pareils à ces crapauds qui… Ils ont des musiciens sur scène, dansent, font beaucoup d’acrobaties. Les arts vivants se combinent. Et en se combinant, ils nous font vivre une expérience particulièrement riche sur le plan sensible et sensoriel.

 

Mais un spectacle peut avoir d’autres buts, ouvrir sur la connaissance ou nous rendre attentifs à telle ou telle réalité…

D’autres pièces nous sollicitent d’avantage sur le plan intellectuel. C’est le cas de Femme non rééducable, magnifique spectacle interprété par Anne Alvaro. Là, on est du côté du rapport au monde. En tant qu’ex-journaliste, je suis d’autant plus touchée par ce spectacle que j’avais eu l’occasion de rencontrer Anna Politkovskaïa à l’époque où elle avait reçu le Prix Sakharov. Il se raconte dans cette pièce quelque chose qu’on a envie de défendre.

 

Est-ce là où vous voulez en venir avec les coups de cœur qui composent votre saison, y compris musicaux ?

On peut avoir envie de mettre en avant l’accès des handicapés au théâtre, mais aussi tenir à les faire jouer sur scène. Chaque année, j’ai été attentive à cela. La compagnie Candoco et ses danseurs handicapés interprèteront par exemple une pièce du chorégraphe Thomas Hauert. Oui, un coup de cœur est fait de choses qu’on a envie de défendre. La poésie, le langage, etc. Novarina, c’est cela. Je ne comprends pas tout, mais avec lui, le monde est plus vaste, la terre est augmentée. Comme il augmente le langage, on a l’impression que tout est possible. Il y a beaucoup d’humour chez lui, alors qu’on croit que les pièces qu’il écrit et qu’il met en scène sont très intellectuelles. Ses comédiens sont aussi formidables. Côté musique, on m’a par exemple proposé quatre spectacles en lien avec le tango. Je n’ai pu en choisir que deux, dont la création de cette chanteuse magnifique qu’est Maria de la Paz autour de Piazzolla.

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison du Théâtre Forum Meyrin sur leprogramme.ch ou sur le site du Théâtre www.forum-meyrin.ch

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