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Un thriller d’après Virginia Woolf au-delà de l’homme et de la femme

Publié le 25.10.2022

Virginia Woolf a écrit Orlando à la suite d'un chagrin d’amour. Lucia Placidi a découvert ce roman à l'âge de 14 an. Depuis, il n'a pas quitté les tables de nuit successives de la metteure en scène. Mais ce n’est que récemment que ce texte privilégié s’est prêté à une métamorphose pour devenir le spectacle, L’Affaire Orlando, à découvrir du 28 octobre au 6 novembre à La Julienne, Plan-les-Ouates. Dominique Carli signe une adaptation «impossible» d’une histoire où un homme devient femme (métamorphose, déjà) en dormant. Et qui, quitte à mener une existence faites d'aventures, vit quelques siècles.


Lucia Placidi dit adorer les thrillers et repousse d’un rire les questions portant sur l’intrigue, les retournements de situation qui ne manqueront pas dans le face à face entre Orlando et la scientifique qui l'interroge - qui est qui, qui veut quoi? Mais c’est surtout la dimension poétique de ce texte qu’elle souhaite partager. Avec pour alliées, des êtres magiques, les comédien-ne-s.




Quel rapport entretenez-vous avec le texte de Viriginia Woolf?

Lucia Placidi. Je l’ai lu quand j’avais 14 ans. A l’époque, j’ai cru - ou plutôt que j’ai voulu croire - que le personnage d’Orlando existait véritablement. Ce qui m’a surtout attiré, c’était des scènes décrites par Virginia Wolf, surtout celles liées à la nature. Pour moi Orlando incarne la nature du temps qui change, qui meurt.

Dans ce roman poétique, les événement qui défilent - et cela va très vite - me font penser à la vitesse de l’instant, à la beauté de l’existence humaine, mais aussi à la violence qui nous entoure. C’est un roman qui reste sur ma table de nuit, j’en parcours régulièrement quelques pages. Quand je déménage, je ne le mets pas dans un carton, je le garde avec moi!



Comment percevez-vous son caractère fantastique?


Il me fascine. Quand Virginia Woolf décrit un fleuve gelé qui demeure transparent et sur lequel sont organisées des fêtes, je voyais des images, et je pensais que cette rivière glacée avec ces patineurs existait. Pendant longtemps, ces images sont demeurées dans mon esprit. Et il y a bien entendu le personnage d’Orlando: mystérieux, immortel, suspendu dans le temps.



Votre Affaire Orlando assume-t-il ce fantastique?


Oui. Au début de la pièce, nous entendons le tic-tac d’une montre, Et subitement il s’arrête. C’est le signe que nous quittons le réel pour rentrer dans un autre espace. Nous sortons du temps.

Par bien des côtés, c’est un roman difficile à adapter pour la scène.

Oui. J’avais parlé de roman et de son importance pour moi à Dominique Carli, alors que nous travaillions ensemble sur un projet pour le nouveau Musée de la Croix-Rouge. Il m’a dit: «Faisons un spectacle!» Une adaptation me semblait très compliquée, la formule «librement adapté du roman» est plus appropriée. Mais nous nous sommes mis au travail. Et l’idée du face à face entre une scientifique et Orlando s’est très vite imposée.



Orlando est né homme mais devient femme.


Dans son texte, Virginia Woolf analyse la question de l’homme et de la femme avec beaucoup de délicatesse, et d’humour. Elle amène le lecteur à réfléchir à des questions fondamentales, comme qu’est-ce que ça veut dire être une femme ou un homme? Qu’est que cela implique, et pourquoi, encore et toujours, devons-nous être déterminé par notre genre? Quand je dois remplir un formulaire, je me demande toujours en quoi il est important de mettre une croix sous un «F» ou sous un «M».

Virginia Woolf se positionne aussi sur la question de l’amour et sur ses enjeux: homme, femme, femme, homme , quelle importance: l’amour n'a pas de sexe pourvu qu’on aime véritablement.





Est-ce le sujet du roman?

Il a été écrit sous le coup d’un chagrin d’amour. C'est avant tout une déclaration faite à son amante. Les questions du genre sont abordées dans le texte, mais l’approche est avant tout poétique - pas politique. Je rappelle que Virginia Woolf était bisexuelle. Elle était mariée et avait une amante, son mari avait accepté cette situation.

Quand Virginia Woolf écrit ce texte, la scientifique qui fait face à Orlando aurait certainement été un homme avec une barbe…

Oui mais ce personnage n’existe pas dans le livre. C’est le dispositif que nous mettons en place dans notre adaptation libre du roman - deux femmes, face à face. Une scientifique cherche à comprendre l’énigme de la vie d’Orlando. L’action se déroule dans ce qui s’apparente à un laboratoire mais pas seulement. C’est une histoire dans une histoire, c’est le passé dans le présent ou vice versa. Orlando raconte des passages de sa vie passée et elle/il les rends au présent comme si le temps pour lui n’existe pas.

J’aime beaucoup les thrillers, donc je n’ai pas envie de vous dire ce qui va se passer. Mais évidemment, la relation entre les deux personnages va évoluer. Il y aura des moments de tensions, et même de violence. Disons que la scientifique va progressivement se passionner pour Orlando, et découvrir qu’il peut même lui permettre d’accéder à une forme de gloire professionnelle. Et on réalise qu’Orlando se livre d’autant plus facilement qu’il espère que la scientifique va pouvoir l’aider à résoudre le drame de sa vie.







Peut-on évoquer le choix de placer sur scène deux femmes face à face?


C’est un choix fort. Avec Dominque Carli nous avions d’abord pensé mettre en scène une femme et un homme pour le rôle d’Orlando. Mais la situation de poser une femme face à une femme permet d’aborder la déclaration d’amour d’une femme à une autre femme qui sous-tend le texte de Virginia Woolf.

Orlando est une femme qui a été un homme. La scientifique est une femme qui aimerait peut-être être un homme.

Pourquoi l’appellation de scientifique. Vu les circonstances: un entretien mené avec une femme qui dit l’être devenue sans recours à la chirurgie ou à des médicaments, et qui prétend être née plus de trois siècles auparavant, on imagine spontanément que le scientifique est psychiatre et que son rôle consiste à comprendre une affabulatrice.

Non, on ne précise aucun domaine spécifique, cela reste énigmatique. On ne sait pas exactement quelle est sa spécialité. Si je me mets à la place des spectateurs, ils voient et entendent tout mais ne savent pas quelle direction le spectacle va prendre. Je ne veux pas les perdre, mais est-ce qu’on doit forcément tout comprendre?


Mais encore?


J’ai envie de restituer l’émotion poétique que m’a procuré ce texte. Ce qui implique qu’il n’est pas nécessaire, ni même possible, de tout comprendre. Tout simplement parce qu’il y a des moments dans la vie où il faut plutôt se laisser emporter par la magie, se laisser entraîner par ces questionnements. Cela permet aussi à chacun de se positionner librement.



Comment avez-vous choisi vos interprètes?


Pour faire court, j’ai trouvé mon Orlando en Jeanne Pasquier, qui collabore souvent avec Omar Poras. Trouver la deuxième interprète a demandé beaucoup d’auditions. Il faut que quelque chose de magique se passe entre les deux comédiennes. Et c’est ce qui s’est produit avec Lisa Courvallet. On ne peut pas expliquer ce qui se joue dans ces moments-là. Une force s’est tout de suite manifestée entre elles. Pour moi, tout spectacle repose sur les comédiens et les comédiennes, je les adore, je les admire, je les aime.

Le texte aborde la question du genre, mais quel est le sujet déterminant?

La nature. Elle était très importante pour Virginia Woolf. La musique tient ce rôle dans le spectacle.

Et pour vous?


J’ai grandi en pleine nature dans les Abruzzes. Puis je suis devenue citadine, je n’aimais que les villes, j’ai vécu à Londres, à Toronto… Depuis une dizaine d’années dans la région genevoise, j’ai pris un chien, je me suis beaucoup promenée et j’ai trouvé une forme de béatitude dans ce contact retrouvé avec la nature. J’ai réalisé à quel point il est fondamental, sur un plan pratiquement métaphysique. 


Propos recueillis par Vincent Borcard


L’Affaire Orlando

Du 28 octobre au 6 novembre à La Julienne, Plan-les-Ouates



Dominique Carli, texte, librement adapté du roman de Virginia Woolf
Lucia Placidi, mise en scène
Avec Jeanne Pasquier et Lisa Courvallet



Informations, réservations:

https://www.saisonculturelleplo.ch/affaire-orlando

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