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Puissance communicative du cercle

Publié le 31.10.2024

À travers une danse collective circulaire, Le Bal, nouvelle création de la Compagnie Linga à savourer le 5 novembre au Centre des Arts Ecolint, Genève, interroge les résonances contemporaines de ces répertoires.

Cette nouvelle création interroge les dimensions suscitées par ces expressions populaires se conjuguant en rondes, la valse en tête, tout en explorant le potentiel de nouvelles interactions chorégraphiques.

Enlacement, rotation, vrille, point d’équilibre entre les corps s’inscrivent dans la continuité de la démarche artistique de Linga.

Cette pièce pour six danseuses et danseurs réinterprète aussi des musiques classiques intemporelles telles que la valse viennoise ou les sarabandes de Rameau. La pièce nous plonge dans une recherche sur le cercle, motif universel et récurrent dans la danse. La forme géométrique transcende les espaces et cultures pour atteindre une forme de communion collective.

L’exploration circulaire renouvelle l’univers de précédentes œuvres marquantes telles Semâ et Flow. La première s'inspire des danses soufies pour créer une chorégraphie qui évoque la quête spirituelle à travers le mouvement tournoyant. Quant à Flow, elle est portée par une musique électronique fluide, aborde la dynamique entre individu et groupe, illustrant le flux et le reflux constant entre l'instinct et la construction collective.

Avec Le Bal, les chorégraphes Katarzyna Gdaniec et Marco Cantalupo poursuivent cette quête d'une danse où l'harmonie entre les corps et les émotions s'épanouit dans une célébration à la fois sophistiquée et instinctive.

Ce sextuor dansé réaffirme leur capacité à sublimer la beauté des danses et musiques populaires à travers un langage corporel résolument contemporain.

Dialogue avec Marco Cantalupo.



Le cercle est le fruit d’un long arpentage pour la Compagnie Linga.

Marco Cantalupo: Effectivement, cette forme géométrique nous fascine depuis longtemps. Elle est aussi la concrétisation d’un monde chorégraphique cherchant à se vivre par le partage et le respect.

La danse en ronde contient cette dimension passionnante de se dérouler souvent de manière intuitive et instinctive. De fait, les corps sont proches les uns des autres. Et la concentration du groupe se réalise vers l’intérieur du cercle plutôt que son extérieur.



Ces danses menées en cercle ont aussi une dimension sociale.

Assurément. Elles sont le symbole d’une société qui n’est plus guère celle que nous connaissons aujourd’hui. Soit une sociabilité basée sur la communication, l’entraide et le partage. Or nos sociétés actuelles sont souvent centrées sur l’ego.

Même si l’on a l’impression de beaucoup échanger sur le virtuel des réseaux, l’on rencontre souvent de la peine à partager réellement avec les autres. Nous convoquons ainsi à travers cette pièce tout un univers lié au bal populaire.

Nous menons ici nos recherches sur une nouvelle manière de créer mouvements et constellations dansées en ronde pour un groupe.

Comment cela est-il né?

Au début, nous nous intéressions au mouvement animalier. Ceci en utilisant des codes et des canevas pour cette cohésion dansée spécifique. D’où l’intérêt pour les rites et les lois de la gravité.

À l’occasion d’une autre pièce, Sema, il y eut ainsi la rencontre avec la cérémonie dansée des derviches tourneurs lorsque notre travail se développait à Ankara (Turquie). Nous avons visité le village de Konya, où le possible premier derviche a vécu et est décédé, y rencontrant une confrérie donnant des spectacles et pratiquant leurs rites dans un espace clos.





Et pour l’idée du bal?

Nous sommes partis d’un constat. Celui de musiques s’ancrant dans notre imaginaire et notre mémoire collectifs. Alors que les danses populaires actuelles et leurs musiques sont principalement binaires, nous nous sommes intéressés aux danses sur trois temps comme la valse.

Si la valse est plutôt considérée comme une danse de couples, elle tourne bien en cercle. Comme une danse résolument contemporaine peut-elle interagir avec des musiques faisant partie du répertoire fort peu pratiquées dans la contemporanéité? Voici le point de départ de cette création.

La valse semble très connotée...

Dans l’esprit du public, la valse est souvent associée à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie. Or elle est issue spécifiquement des danses populaires.

Dans la Vienne du 19e siècle, cette danse était pratiquée par nombre de classes sociales. Chaotique et populaire, la valse était alors méprisée par l’aristocratie. Car considérée comme par trop lascive et intime pour être pratiquée par les jeunes filles.





Étymologiquement, la valse vient de l’Allemand «valsen» ou «tourner».

Pour mémoire, il y eut précédemment «volvere» en latin qui aurait influencé la dénomination allemande de la valse. Il faut souligner ses origines paysannes avec notamment la volte, danse de la Renaissance italienne au 16e siècle, mais originaire de Provence, où elle se danse encore de nos jours

 Si nous en respectons le rythme ternaire d’origine, nous en réinventons les formes et les manifestations chorégraphiques en les confrontant à notre gestuelle fluide et parfois déstructurée.

À mes yeux, la dimension populaire rattachée à la danse est essentielle. Vu que la gestuelle de la Compagnie Linga est une gestuelle qui est issue d’une quotidienneté du geste et d’une contemporanéité de l’expression, s’en nourrissant amplement. Nous visitons aussi régulièrement des danses populaires, la samba ou le cha-cha-cha qui allie rythme et vivacité.

Vous travaillez particulièrement la spirale permettant de travailler le haut, le bas et la fluidité...

Absolument. La spirale agit aussi sur le centre et la périphérie qui est une recherche constante dans notre travail.

Le mouvement du groupe dansant est en grande partie centripète. Sans oublier l’avant et l’arrière dans le mouvement des danseurs et danseuses. La spirale traduit et véhicule cette capacité d’amener à la transe et à l’extase. Capacité qui était précisément reprochée à la valse à sa naissance par l’aristocratie.

Ce qui m’intéresse aussi dans la spirale? Cette fusion qu’elle favorise. D’une part, entre un mouvement circulaire aux rythmes et amplitudes variés. Et des corps pouvant se rencontrer, se toucher, de l’autre.

La volte originelle implique d’ailleurs un porté de la dame, extases et tourbillons dans le mouvement circulaire.


La diversité des cultures est importante pour votre Compagnie?

Oui, c’est à dessein que les interprètes de Linga sont isu.es des quatre coins du monde.

Nous sommes ici bien au-delà de ces moments de sociabilité festif mais aussi socialement un peu contraintes de certaines danse circulaires et rites collectifs dès leurs origines. Pour Le Bal, les individualités venant d’horizons culturelles diverses et variées ressortent immanquablement dans la danse.

Le Bal, ce sont des individus à la base qui décident de faire groupe. La pièce se déroule non-stop essentiellement dans la circulation d’énergies en circularités. Cette durée amène progressivement à l’extase.

Il y a donc cette envie de se perde dans un tourbillon de danse, voire un couple. Mais le pari est aussi d’aller chercher l’autre tout en se cherchant soi-même. Que l’on songe ici au long-métrage, Le Bal (1983) d’Ettore Scola. Un film sans dialogues, où l’émotion est portée à bout de bras par la musique, les interprètes et les danses.

Propos recueillis par Pierre Siméon


Le Bal
Le 5 novembre au Centre des Arts Ecolint, Geneve

Katarzyna Gdaniec et Marco Cantalupo, idée et chorégraphie - Cie Linga
Avec Aude-Marie Bouchard, Enzo Blond, Bonni Bogya, András Engelmann, Csaba Varga, Cindy Villemin

Informations, réservations:
https://www.ecolint-cda.ch/fr/nos-evenements/le-bal


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