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Magie et grimaces du fond d'un trou noir

Publié le 17.03.2023

Du 22 au 26 mars, Les 9 Coriaces s'invitent au Théâtre des Marionnettes de Genève. Ils sont laids, grotesques et leurs élucubrations tour à tour farfelues ou absurdes feront beaucoup rire... malgré le fait que leur monde au bord de l'extinction ressemble souvent beaucoup au nôtre. Et même un peu trop - rires jaunes, énaurmes, tragiques, grimaces, rires de dépit, rires légers (cherchez l'intrus).

A découvrir dès 10 ans, cette farce philosophique trouve un supplément de force dans l'obscurité qui la nimbe. Les Coriaces vont et viennent comme par magie entre la lumière et le noir le plus profond, ce qui est assez normal quand la forme de ce spectacle de marionnettes est justement le théâtre noir. Entretien avec la conceptrice et co-metteuse en scène Elise Merrien autour de la meilleur façon de faire rire et réfléchir au bord d'un trou noir.


Au début des 9 Coriaces il y a...


Elise Merrien. Il y le texte de Patrick Dubost, que j’ai avec moi depuis des années. Il me fait rire, et il offre cette possibilité de parler de cette grande folie humaine à un jeune public - spectacle dès dix ans, n.d.l.r. - tout en le faisant rentrer dans une réflexion. 
Au début, il y aussi ma rencontre avec le théâtre noir.

Avec ce dispositif, les marionnettes semblent surgir d’un trou noir, ce qui qui d’emblée me fascine, me met dans la peau d’un enfant face à un phénomène magique. Cette découverte absolue m’amène en stage à Toulouse auprès de la Compagnie le Clan des Songes, qui ne fait que ça. Et dans ma tête, cela correspond exactement à ce dont j’ai besoin pour faire quelque chose avec Les 9 Coriaces



Les Coriaces ramènent à la légendes des Curiaces, qui perdent contre Horace. Sont-ils eux aussi des perdants?

Ils apparaissent d’abord comme grossiers, voire vulgaires. Assez vite, des références au monde contemporain affleurent dans leurs discussions. «On a tout bouffé/ On a bouffé les lampadaires / Les plats préchauffés!» Ils disent avoir même mangé les vagues. Autant dire que le vivant n'a pas été épargné. Ils ont détruit leur monde, ce qui instaure une filiation avec notre situation écologique…

Que je mets très vite à distance, car si les visages des Coriaces sont humanoïdes, ils ont des gueules monstrueuses, disloquées, qui rend difficile l’identification.

Il y a une triangulation dominants-dominés-spectateurs qui s’instaure et qui résonne suffisamment pour que chacun se sente concerné - même si l’auteur ne tient pas un discours dominants-dominés.

Vous nous faites un peu peur. Que va-t-il se passer?


L’histoire débute à un moment où ils comprennent que si ils continuent ainsi ils auront bientôt disparu - il n’était que temps, ils étaient des milliards, ils ne sont plus que neuf. Ils discutent donc solutions tout en nous apprenant comment ils en sont arrivés là.

Nous les découvrons donc au moment où ils décident de se rencontrer pour discuter de comment pérenniser l’espèce - c’est une trêve.





La loi du mangé ou être mangé, détruire ou être détruit, à fait d’eux des monstres?

Exactement. Et les survivants se réunissent pour trouver une issue. Leurs solutions sont bien évidemment aussi fantaisistes que philosophique ou absurdes! Cela rythme une narration qui navigue entre monologues et dialogues - les Coriaces sont de très grands bavards, le texte est très divertissant.

Et visuellement?


Le dispositif du théâtre noir est très restrictif. Nous jouons avec une espèce de couloir de lumière de 40 centimètres de profondeur qui impose une très grande précision technique. Si on bouge d’un poil avec une marionnette, on risque de faire de l’ombre à celle qui apparaît à côté! Donc, oui, ils sont rarement tous les 9 en même temps dans la lumière! D’autant plus que nous ne sommes que quatre derrière.



C’est très technique et très chorégraphique. Au point qu’en marge de représentations scolaires, nous invitions régulièrement les élèves à suivre une scène depuis l’arrière de la scène!

Vous décrivez des contraintes très importantes, qui doivent limiter le domaine des mouvements possibles.

Le théâtre noir n’est pas propice au mouvement, mais cela devient un espace de créativité! Il faut trouver dans le texte des éléments qui vont nous permettre de casser ce cadre.

Je prends un exemple: un Coriace devient idéaliste, il parle de partir tous ensemble dans la forêt, de se raconter des histoires, bref de s’aimer les uns les autres. En ce moment très particulier, nous donnons l’impression au public que le personnage énonce sa proposition assis sur une balançoire, allant et venant entre lumière et obscurité.


Parlez-nous encore d’espaces de créativité!


Je suis toujours à la recherche d’un truc, d’une astuce qui va permettre de rendre encore plus vivant ce qui ne l’est pas! Nous avons une matière étrangère, inanimée, morte que nous devant rendre suffisamment vivante pour que chacun dans la salle puisse l’accepter dans son monde.

Cette envie de fasciner, d’offrir quelque chose de magique, ne quitte pas le marionnettiste.





Et les Coriaces dans tout cela.

Ce sont des masques, certes très expressifs, mais qui n’ont pas de corps. Nous devons donc amener les spectateurs à imaginer leurs corps - dans le noir. C’est une démarche sur le corps démembré...

Mais, j’avais envie qu’on retrouve ponctuellement le corps humain pour interpeller le spectateur. C’est le travail d’un danseur-marionnettiste, qui a le choix entre prendre un masque ou le laisser. Si il le prend et cela a immédiatement un impact sur son corps. Dans ce spectacle la ligne générale consiste à cacher au maximum les manipulateurs… sauf dans des moments très particuliers où nous décidons de les montrer.

Selon ma compréhension, le spectacle évoque la fin du monde.


Il n’y a pas de scène choc. Les personnages sont immédiatement grotesques et on rit suffisamment pendant la représentation pour pouvoir discuter du fond après.



Rassurez-nous, est-ce que cela finit bien?


Pour le dénouement, nous trichons un peu, l’issue demeure un peu ouverte. Notre intention est de montrer que les protagonistes ont une solution, mais de ne pas répondre à la question de savoir si ils vont s’en saisir ou pas. C’est aussi l’expression de cet écran noir duquel tout peut sortir, le plus monstrueux comme le plus beau. Avec ce spectacle, je me sens au bon endroit!


Tout ne serait donc pas perdu pour les Coriaces?


Je ne voudrais pas tout révéler, mais il y a un dixième personnage: la fragile créature. Les Coriaces en parlent, cela fait des années qu’ils n’en avaient plus vu. Elle est un peu maigre, mais c’est un personnage qui peut offrir une chance de renouveau. Peut-être


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Les 9 Coriaces

Du 22 au 26 mars au Théâtre des Marionnettes de Genève

Patrick Dubost, texte - Elise Merrien et Tchavdar Pentchev, mise en scène

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Avec Morgane Mellet, Elise Merrien, Iliass Mjouti et Tolgay Pekin


Cie Elyo

Informations, réservations:

https://www.marionnettes.ch/spectacle/271/les-9-coriaces

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