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Janina Fialkowska: "C'est un très haut niveau"

Publié le 12.10.2022

Rendez-vous incontournable de l’automne, le Concours de Genève propose chaque année deux disciplines. Cette année, le public pourra assister à la finale de Composition avec les Neue Vocal Solisten Stuttgart le 26 octobre, et, du 27 au 30, aux demi-finale de piano, après un premier tour diffusé en ligne en septembre dernier. La finale "piano" se déroulera le 3 novembre avec l’Orchestre de la Suisse Romande au Victorial Hall. Pour l’occasion, nous nous sommes entretenus avec Janina Fialkowska, présidente du jury de piano. Elève de Rubinstein qui l’avait adoubée «née pour jouer Chopin», elle poursuit une grande carrière internationale. A Genève, elle animera également une masterclass les 30 octobre et 1er novembre.


Le Concours de Genève s’est tourné vers un premier tour en ligne. Comment se passe la sélection?

Janina Fialkowska. Les présélections s’étaient déjà faites en ligne. Nous nous sommes réunis à Genève, au Théâtre Les Salons qui disposait d’un grand écran. Nous avons écouté 182 candidats et sélectionné une quarantaine. Naturellement, nous n’avons pas pu écouter l’intégralité des enregistrements, chaque candidat ayant préparé un programme d’une trentaine de minutes.

Pour le premier tour, nous avons reçu les récitals enregistrés de tous les candidats retenus. Nous les avons visionnés chacun de notre côté et nous sommes réunis via Zoom avec Didier Schnorhk pour en débattre. C’est un très haut niveau! Remarquable, en comparaison à d’autres concours auxquels j’ai pu prendre part. Suite aux discussions, nous avons même demandé à ajouter un demi-finaliste. Ils seront donc neuf au lieu de huit.



Le jury des présélections diffère du jury final. Les choix auraient pu être différents; n’est-ce pas un problème pour la suite du concours?

Effectivement, deux jurys différents auraient pu faire d’autres choix, mais ce ne serait absolument pas possible d’avoir un jury unique pour tout le concours. Pour moi également c’était difficile, mais comme je suis présidente du jury, j’ai fait le nécessaire pour trouver le temps. Les présélections ont duré une semaine et le premier tour à la maison a pris quatre ou cinq jours. Il faut ensuite être à Genève une petite dizaine de jours pour les demi-finales et la finale. Trouver tout ce temps-là est presque impossible.

Laisser un mois d’écart entre les premier et deuxième tour n’est-il pas un risque d’oublier les prestations des candidats?

Je pense que nous avons tous l’habitude de ces situations et les prestations restent très clairement dans ma mémoire. Si un candidat nous a particulièrement touché, on s’en souvient, c’est notre métier. D’autant que chacun des pianistes avait une personnalité musicale très forte. Même après un mois, le souvenir reste frais.

L’endurance nécessaire pour enchaîner des programmes différents en peu de temps est moins importante dans cette configuration.

Ce qui est intéressant, ce n’est pas le temps entre les épreuves ou l’endurance, c’est de voir l’étendue de leurs capacités, et notamment leur aptitude à jouer avec orchestre. Beaucoup de jeunes pianistes n’en ont pas l’habitude, et on le ressent. Il m’est arrivé très souvent, en tant que juré, d’entendre quelqu’un de fantastique dans ses récitals et d’être déçue de la performance avec orchestre. Ils sont formés au récital et, à 19 ou 20 ans, on n’a pas beaucoup d’occasions de jouer avec orchestre. 





Cette année, le Concours de Genève instaure la présentation d’un projet personnel en demi-finale. Pensez-vous que cet aspect soit plus difficile pour le jury?

J’ai tout d’abord une appréhension quant à la barrière de la langue. Dans tous les concours, il y a des candidats qui ne parlent pas le français ou l’anglais couramment. Que vont-ils faire? Cela dit, si on veut être pianiste concertiste international, parler anglais est indispensable. Peut-être que dans dix ans il faudra parler une autre langue, mais actuellement, l’anglais reste la langue de référence dans ce domaine.

Concernant la présentation, c’est évidemment très différent des récitals, mais avec presque 50 ans de carrière, je pense pouvoir écouter et comprendre les projets des candidats. Juger est quelque chose de compliqué, mais comprendre reste faisable.

Les candidats de 16 et 17 ans n’ont peut-être pas encore la maturité nécessaire pour développer un projet?

Sauf si c’est quelqu’un d’exceptionnel, ce qui n’est pas non plus impossible. Si on regarde par le passé, Krystian Zimerman, Vladimir Ashkenazy ou Maurizio Pollini ont tous commencé à cet âge-là. C’est possible d’avoir une vision de son avenir. Je pense que ce sera très intéressant pour un jury.

Le Concours de Genève a à cœur d’inciter les candidats à réfléchir à l’orientation de la carrière et à leurs projets.

C’est important qu’ils apprennent. Beaucoup d’entre eux utilisent les réseaux sociaux comme une vitrine pour faire évoluer leur carrière. Employer les nouvelles technologies est une tendance; il faut apprendre à les utiliser, elles sont devenues indispensables pour les jeunes pianistes.






D’autant plus que la relation «mentor-disciple» comme celle que vous avez eue avec Arthur Rubinstein n’existe plus.

Le côté «mentor», c’est fini. Faire carrière est encore plus difficile aujourd’hui car ils sont nombreux à très bien jouer. On peut cependant les aider à notre échelle. Ce qui est important, c’est de pouvoir suivre et aider les candidats que l’on remarque, même s’ils ne gagnent pas le Premier Prix. C’est notre devoir. Lors de concours passés, il m’est arrivé d’entendre des candidats avec beaucoup de talent qui n’ont pas gagné de prix pour diverses raisons. J’ai fait ce que j’ai pu pour les aider: j’ai un petit festival où je les ai invités, je les recommande...c’est important, et c’est peut-être ce qui remplace le mentor.

Qu’est-ce que qui a changé pour que cet aspect disparaisse?

Dans le temps, on avait un ou deux professeurs de piano dans notre carrière. Maintenant, les étudiants voyagent. Ils vont partout, participent à des masterclasses, étudient avec plusieurs professeurs. Ils ne restent pas dans une école; c’est peut-être pour cela que tout se ressemble un peu dans leur jeu, actuellement, ce qui rend notre travail plus facile car un pianiste exceptionnel ressort plus facilement.

Le jeu des jeunes pianistes s’est donc uniformisé?

On ressent de moins en moins de démarcations dans la jeune génération. La variété de sons, de couleurs, d’approches et de touchers, c’est ce que j’aime dans ces diverses écoles. Aujourd’hui, beaucoup de Français et des Russes vont étudier en Allemagne, des Américains vont au Canada... Ce n’était pas comme ça il y a 50 ans. C’est incroyable de pouvoir s’imprégner d’autant d’influences, mais si les écoles se perdent et que le jeu s’uniformise, c’est très dommage, on perd en diversité.

Propos recueillis par Sébastien Gayet





Concours de Genève

Programme:
23 octobre, Portrait des finalistes du concours de composition, Conservatoire de Genève, 17h
26 octobre, Finale du concours de composition, Conservatoire de Genève, 19h

27 et 28 octobre, demi-finale du Concours de piano - piano solo. Conservatoire de Genève, 14h30 et 18h30
29 et 30 octobre, demi-finale du Concours de piano - musique de chambre. Conservatoire de Genève, 14h30 et 17h30

31 octobre et 1er novembre, Masterclass publique de Janina Fialkowska, Bâtiment Dufour - HEM, 10h et 14h

3 novembre. Finale du Concours de piano avec l'Orchestre de la Suisse Romande (OSR), Victoria Hall, 19h





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