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Corneille, la beauté d’une langue

Publié le 09.01.2015

 

« Lire un texte de Corneille, c’est comme une ascension alpine »

 

Le Genevois Didier Nkebereza monte au Théâtre du Loup à Genève, Horace, de Corneille, avec le comédien Frédéric Landenberg dans le rôle titre. C’est l’histoire d’un héros aux mains ensanglantées. En pleine guerre entre Rome et Albe, le personnage d’Horace tue le fiancé de sa sœur, Curiace l’Albain. Cette sœur, Camille, perd l’amour en même temps que son frère devient le sauveur de Rome. Dans un moment de folie douloureuse, elle outrage Horace qui répond aux insultes par le meurtre de sa propre soeur. En sauveur, Horace devient-il aussi l’assassin de Camille ? Grand adepte des pièces de Corneille, Didier Nkebereza réalise en montant Horace, une envie qui vient de loin. « Pendant quinze ans, j’ai lu cette pièce une ou deux fois par année », confie-t-il. Le metteur en scène genevois n’a pas souhaité toucher une seule ligne du texte pour, dit-il, conserver la poésie de la langue et se mettre au niveau de l’exigence de Corneille. Dans une scénographie dépouillée, avec des costumes et une lumière très riches, il s’est entouré de dix comédiens qui portent la pièce. Entretien.

 

Didier Nkebereza, qu’est-ce qui fait que Corneille est votre auteur préféré ?

 

On peut dire que j’ai deux auteurs de prédilection : Corneille et Racine. Je suis arrivé au premier par le deuxième, Corneille qui a écrit 32 pièces était plus sympathique que Racine, c’était un homme d’un profond humanisme, qui me fait du bien. Il y a une grande richesse dans son œuvre, tout ne se passe pas uniquement dans les mots chez Corneille. Quand il écrit « gloire » ou « honneur », ce n’est pas forcément ce que ressentent ses personnages, qui sont très complexes. Chez Corneille, la langue est extraordinaire, il y a une aisance dans les alexandrins. On pense que Corneille est l’auteur de la gloire mais c’est aussi l’auteur de l’amour. Il était convaincu de l’idée que l’on peut toujours s’améliorer, se dépasser… Dans ses pièces, il analyse l’âme humaine avec énormément de profondeur. Il joue sur la frontière très fine entre la tragédie et la comédie. Et il sait décrire l’être humain en profondeur, dans toute sa contradiction. Goethe disait : « Corneille écrit pour des empereurs ». Et c’est vrai ! Ses vers sonnent. C’est un avocat à la base, les plaidoiries sont incroyables et mêlent à la fois force et douceur.

 

Parmi ses 32 pièces, pourquoi avoir choisi de monter Horace ?

 

Fondamentalement pour la langue. J’ai découvert ce texte lorsque j’avais 20 ans. Quand on se retrouve pour la première fois face à une pièce de Corneille, soit on est rebuté (parce que c’est difficile à lire), soit on a envie de faire l’effort. Je prendrai une métaphore suisse : c’est comme une ascension alpine. On voit que l’on a le Cervin face à soi, que c’est difficile, mais on sait que si l’on arrive au sommet, le panorama est à tomber. On a le choix d’y aller ou non.

 

Quelles sont les difficultés propres à cette pièce ?

 

C’est tellement génial qu’il faut l’appréhender avec des pincettes, toujours se remettre en question. C’est un chef d’œuvre. Jusque là, je n’avais créé que des sommets secondaires, c’est mon premier 4000 !

 

 

Parler d’actualité avec une pièce du 17siècle (Horace a été écrite en 1639), qui évoque en plus des faits remontant au 1er siècle avant J.-C., est-ce que c’est possible ?

 

Le thème d’Horace est très actuel, on en a vu des exemples récemment. Prenons l’affaire Polanski. Comment le juger ? On se retrouve face à des traditions juridiques qui ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, pour considérer l’auteur du délit. Ce qui a fait dire à un journal suisse romand : « Peut-on poursuivre le réalisateur du Pianiste » ? Dans Horace, Corneille nous met face à un choix entre l’individu ou la collectivité. Et il répond par la collectivité.

 

Avez-vous fait le procès d’Horace pendant les répétitions ? Quel est votre verdict ?

 

Je ne sais pas si j’ai pris sa défense… J’ai essayé de rétablir toutes les cartes. A priori la sympathie va à la victime, Camille. C’est aussi le cas dans cette mise en scène. Mais le personnage d’Horace est aussi quelqu’un de généreux, qui anticipe les conséquences de ses actes… Il dit à Camille de pardonner à son amoureux s’il le tue et de la même manière de le pardonner lui s’il tue son amoureux. Je condamne le personnage au même titre que le fait Corneille dans sa pièce. On pense qu’il est absout, mais ce n’est pas totalement juste, c’est une mauvaise lecture des vers. Horace est condamné aux travaux forcés et à ne plus voir ses proches… Je pose la question : que met-on dans la balance ? Je ne suis pas pour la loi du Talion. Mais la question se pose aujourd’hui dans toute justice : est-ce qu’on l’applique à la lettre ou est-ce qu’on réfléchit en fonction de l’individu que l’on a à juger ?

 

Propos recueillis par Cécile Gavlak

 

Horace, du 9 au 25 janvier 2015 au Théâtre du Loup à Genève. Renseignements et résevartions au +41 22 301 31 00 ou sur le site du théâtre www.theatreduloup.ch

 

Bon à savoir :

  • Rencontre avec l’équipe artistique à l’issue des représentations des 10, 20 et 24 janvier

Autour du spectacle :

  • Le procès d’Horace, face à face entre Me Marc Bonnant (accusation) et Me Yaël Hayat (défense) précédé d’un Concours de plaidoiries par des étudiants en droit de l’Université de Genève, lundi 12 janvier, de 19h à 22h15 (entrée payante, réservation conseillée)
  • Conférences du Prof. Eric Eigenmann (UNIGE) et de la Prof. Danielle Chaperon (UNIL) sur Corneille et son œuvre, mercredis 14 et 21 janvier, de 18h30 à 19h15*
  • Lecture La Vie de Corneille par Claude Goy, vendredis 17 et 23 janvier, de 18h30 à 19h15 (entrée libre)
  • Work in process Horace de Heiner Müller par Gabriel Alvarez au Théâtre du Galpon, samedi 24 janvier de 17h à 18h (entrée libre)

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