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Brecht, Musset, Py et les autres

Publié le 19.06.2015

« Brecht ou Musset sont aussi nos contemporains »

 

La nouvelle saison 2015-2016 de la Comédie de Genève concoctée par son directeur et metteur en scène Hervé Loichemol fait la part belle aux textes contemporains, à l’instar d’Un Conte cruel, commande d’écriture à la Genevoise Valérie Poirier sur les violences conjugales. Qu’est-ce qu’être contemporain, interroge Hervé Loichemol. Réponse d’un homme de théâtre défricheur de nouveaux territoires. L’un des premiers à mettre en scène Heiner Müller en Suisse. En septembre, c’est un cri contre la guerre qu’il montera avec Fanny Ardant dans le rôle de Cassandre, roman éponyme de Christa Wolf adapté par le compositeur Michael Jarrell.

 

 

Pour votre nouvelle saison, vous avez passé commande d’écriture à la Genevoise Valérie Poirier sur le thème des violences conjugales. Un Conte cruel sera mis en scène par Martine Paschoud début 2016. Racontez-nous la genèse de ce projet.

En 2011, à mon arrivée à la Comédie, nous avions fait venir les trois pièces de Sophocle montées par Wajdi Mouawad, avec Bertrand Cantat. C’est à ce moment que j’ai rencontré Béatrice Cortellini, responsable de l’association Solidarités Femmes, à Genève, qui semblait navrée du lynchage contre Cantat et moi-même. L’idée m’est venue de proposer à Martine Paschoud et Valérie Poirier d’engager un travail sur les violences conjugales. La durée du processus d’écriture, la démarche documentaire, l’attention à la vie des gens, la collaboration avec une association sont aussi importants que le résultat.

 

Vous mettrez en scène Cassandre à la rentrée, que vous créerez cet été au Festival d’Avignon. Qu’est-ce que Christa Wolf a à nous dire aujourd’hui ?

Le roman de Christa Wolf compte plus de deux cents pages. Michael Jarrell, qui en a fait l’adaptation au début des années 1990, n’en a gardé que certains éléments, dont le personnage de Cassandre qui se remémore la destruction de Troie. A l’époque, c’était la guerre en Irak et en Bosnie. Nous avions créé un comité Sarajevo quand je répétais au Poche. On militait. Pendant le siège de la ville, je me suis aussi rendu sur place pour essayer d’établir des passerelles artistiques. J’ai monté en bosniaque Hamlet Machine et Quartett de Müller, et Dans la solitude des champs de coton de Koltès. La composition de Jarrell s’inscrit dans cette période-là. C’est un cri contre la guerre.

 

Et sur la forme, le théâtre y rencontre la musique.

C’est un opéra parlé. Fanny Ardant dit l’intégralité de son texte sur la musique de Michael. Il faut caler le jeu et la diction sur la partition musicale. Une contrainte structurante. Ce n’est pas le rapport habituel à un texte de théâtre, où l’on fait de l’herméneutique. Là, je monte un texte qui est déjà interprété par Michael. C’est écrit, en paroles et en musique. C’est assez beau à faire et singulier, d’autant plus pour moi qui me suis attelé à beaucoup de textes bizarroïdes, pas seulement de Müller et de Koltès, mais aussi d’autres encore plus étranges.

 

Quelle place donner à l’écriture contemporaine aujourd’hui ? Et dans votre saison en particulier ?

Le mot « contemporain » peut prêter à confusion : il ne suffit pas d’être vivants à la même époque pour être des contemporains. Il faut surtout partager le même temps, qui n’est pas celui des horloges. Je dis souvent que Le Pen n’est pas mon contemporain. Dans le programme de saison, on trouve beaucoup d’artistes vivants ! David Van Reybrouck, Olivier Py, Emma Dante, Warlikowski, Valérie Poirier, Paul Pourveur… Mais on trouve aussi Brecht avec L’Opéra de quat’sous, ou Musset avec Lorenzaccio qui sont aussi, je crois, nos contemporains.

 

 

Les écritures dites contemporaines vous tiennent donc particulièrement à cœur ?

Quand j’ai commencé le théâtre dans les années 1970, ce qui dominait, c’était la lecture des classiques. A cette époque, je me battais becs et ongles pour que des auteurs vivants soient montés dans les théâtres. Aujourd’hui, la situation s’est totalement inversée, je reçois beaucoup de propositions sur des textes d’auteurs vivants et très peu sur des classiques. Il faut batailler pour trouver un projet classique digne de ce nom. Le prestige du classicisme demeure intact auprès d’un public traditionnel, mais plus tant au niveau des médias, des faiseurs d’opinion et des institutions culturelles. Il faut faire dans la nouveauté, l’événementiel, etc… Ce n’est pas parce qu’on monte un texte nouveau que ça va être bien. On doit essayer d’articuler les textes du passé et les écritures contemporaines. Dans les années 1970, commander un texte à Bernard Chartreux, dramaturge de Jean-Pierre Vincent, ou monter Heiner Müller étaient de vrais coups de force.

 

L’autre texte que vous mettrez en scène cette saison est celui d’Olivier Py. Un auteur vivant qui vous parle ?

On avait monté Epître aux jeunes acteurs à Ferney-Voltaire il y a plusieurs années. C’est un texte très caustique, très en prise sur la réalité du métier, sur le théâtre, avec une joie, une ouverture, une aspiration à quelque chose de plus grand que j’aime beaucoup chez Olivier Py.

 

Cette année, les grosses mises en scène comme Le Roi Lear, vous les confiez aux autres ?

Ce n’est pas un choix délibéré, je suis content d’en faire. Mais je ne suis pas frustré si je n’en mets pas en scène. Ce qui me motive, c’est d’être en adéquation avec un projet aussi bien politique qu’esthétique. Une occasion de découvrir ce que je ne connais pas. J’ai mis des années avant de m’attaquer à Shakespeare, je n’avais jamais osé le faire. C’était aussi un terrain d’aventure pour moi. Il y a des choses que l’on a envie de dire par un texte, c’est cela qui compte.

 

Qui sont donc vos invités cette saison ?

Emma Dante est une personnalité fantastique. Dans ce spectacle-là, Le Sorelle Macaluso, les comédiens racontent beaucoup de choses, chantent et dansent. Il y a Mission que je suis heureux de faire revenir, un choc. Lorsque nous avons présenté le spectacle il y a deux ans, nous avons craint d’avoir très peu de public parce que personne n’était connu. Le bouche à oreille s’est fait instantanément et ça a été un petit événement.

 

 

La danse aura aussi une place particulière à la Comédie avec Foofwa d’Imobilité, qui collabore avec de jeunes danseurs dans Redonner corps

Je suis très content d’accueillir Foofwa cette saison. Ce n’est pas la première fois que la Comédie accueille ou produit de la danse, mais les propositions de chorégraphes sont plutôt rares.

 

La Troisième Rencontre du théâtre suisse se déroulera à Genève en 2016, entre autres à la Comédie. Un plus pour la création romande ?

Dans un pays comme la Suisse, génialement situé au cœur de l’Europe, qui a la chance d’avoir quatre langues, les échanges théâtraux sont nuls. C’est évident pour les Romands d’aller à Lyon, à Bruxelles, mais ça l’est moins d’aller à Zurich, alors qu’il s’y passe des choses formidables. Favoriser ces échanges me paraît être l’un des enjeux majeurs des années à venir. Je suis heureux de pouvoir franchir les frontières de l’Europe. Même si son système économique n’est pas celui que j’affectionne le plus. Mais là, c’est un autre sujet…

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison de la Comédie sur leprogramme.ch ou sur le site du Théâtre www.comedie.ch

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